Exercer dans un modèle coordonné : atouts et dynamiques pour les professionnels de santé

17 juin 2025

Comprendre le modèle coordonné : de la notion à la réalité de terrain

Depuis une quinzaine d'années, le travail coordonné s'affirme comme un pilier de l’organisation des soins de premier recours en France. Derrière cette expression, divers dispositifs ont peu à peu maillé le territoire : maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), équipes de soins primaires, centres de santé, mais aussi dispositifs d’appui comme les DAC. Qu’entend-on concrètement par modèle coordonné ? Il s’agit d’une organisation où au moins deux professionnels de santé, le plus souvent issus de disciplines différentes, s’engagent à coopérer autour du parcours du patient, via des réunions, des protocoles élaborés ensemble, des outils communs d’information, et parfois un projet de santé partagé.

Si ces modèles varient selon les territoires – on ne travaille pas à Alençon comme à Aubagne – tous visent trois objectifs : la qualité et la continuité des soins, la fluidité du parcours des patients, et une prise en charge globale, inscrite dans la réalité locale.

Qualité de vie professionnelle : réduire l’isolement, partager la charge

Un des bénéfices souvent évoqués par les soignants exerçant en modèle coordonné concerne la qualité de vie professionnelle. L’isolement, longtemps pointé comme un frein majeur pour l’installation ou le maintien en exercice libéral, recule. La coordination permet en effet de s’appuyer sur un collectif pour échanger, demander un avis, ou partager les situations complexes.

  • Dans une enquête de l'URPS Médecins de Nouvelle-Aquitaine (2021), 74 % des médecins travaillant en maison de santé jugent que l’exercice pluriprofessionnel a un « effet positif sur leur qualité de vie » (URPS Nouvelle-Aquitaine, 2021).
  • Ce constat s’accentue avec l’ancienneté : après cinq ans d’activité en structure coordonnée, près de 9 professionnels de santé sur 10 affirment qu'ils refuseraient de revenir à un exercice isolé (Réseau FFMPS, 2019).

Au-delà de la convivialité, le soutien du groupe permet une rotation des gardes, une mutualisation des tâches administratives, et l’organisation de remplacements. Plusieurs maisons de santé ont ainsi instauré des plages de « coupe-feu » : des créneaux durant lesquels un professionnel est désigné pour accueillir sans rendez-vous les urgences mineures du jour, évitant aux autres de voir interrompre systématiquement leur activité.

Valorisation des compétences et décloisonnement

Travailler en équipe pluridisciplinaire permet une mobilisation plus fine des compétences. Chacun reste dans son champ d’action, mais la pratique quotidienne montre que la coordination élargit le regard sur le patient. Par exemple, l’intégration d’infirmier·es en pratique avancée, de coordinateurs ou de diététicien·nes favorise une prise en charge plus globale, réduit les pertes de chance, et accélère le repérage de situations fragiles (mal-être psychique, vulnérabilités sociales...).

  • Selon une étude menée par l’Assurance Maladie auprès de 400 structures MSP, 81 % des médecins déclarent que la coordination leur permet d’adresser plus rapidement les patients vers le professionnel le plus adapté à leur besoin (CNAM, Rapport Soins primaires, 2022).
  • Cette dynamique est aussi un levier d’attractivité pour les jeunes diplômés : dans l’enquête Recrutement et attractivité des MSP (Observatoire National des MSP, 2021), 78 % des internes en médecine générale citent la possibilité de travailler en équipe comme critère décisif d’installation.

L’apprentissage collectif ne se limite pas au soin curatif : dans de nombreuses structures, les professionnels conçoivent ensemble des actions de prévention (dépistage du diabète, ateliers nutrition, sensibilisation à la santé mentale). La pluralité des approches démultiplie ainsi la capacité d’innovation.

Apport organisationnel : mutualiser pour mieux gérer

Le passage à un modèle coordonné suppose en général une évolution du quotidien organisationnel : gestion partagée des rendez-vous grâce à des secrétariats mutualisés, dossiers patients communs (par exemple, via des solutions certifiées Ségur numérique), protocoles partagés pour l’accueil de certains motifs fréquents.

Plusieurs études d’impact montrent un allègement du « temps administratif invisible » :

  • Le partage des tâches administratives entre associés, et la prise en charge d’une partie des appels via un secrétariat, permettent à de nombreux praticiens de dégager jusqu’à 1h30 de temps médical ou paramédical par jour (source : rapport IGAS, « Évaluation du développement des MSP », 2020).
  • La mutualisation permet aussi d’accroître la capacité d’accueil pour des profils de patients en grande difficulté sociale ou médicale : étude FFMPS 2022, sur 102 MSP interrogées, 60 % déclarent accueillir davantage de patients en situation de précarité depuis leur organisation coordonnée.

Ces modes d’organisation ne gomment pas toutes les contraintes (le temps de réunion est parfois jugé chronophage, la décision collective peut exiger des compromis), mais ils rendent possible une réflexion à plusieurs sur la gouvernance, l’équilibre entre vie professionnelle et investissement collectif, et l’évolution du projet de santé au fil des années.

Du collectif à la transformation professionnelle : satisfaction au travail et sentiment d’utilité

Un impact souvent mesuré dans les enquêtes de satisfaction concerne le sens retrouvé dans l’exercice professionnel et le sentiment d’utilité. Le modèle coordonné, en rendant visibles les progrès (patients mieux suivis, équipes en lien avec l’hôpital, retours positifs sur les actions collectives), agit positivement sur l’implication et la motivation.

Des retours d’expérience recueillis lors de l’expérimentation « Équipe de Soins Primaires » à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) montrent que 92 % des membres de l’équipe déclarent « se sentir moins démotivés face aux situations complexes » quand ils peuvent échanger régulièrement au sein du collectif (ARS Pays de la Loire, 2020).

  • Par ailleurs, 67 % des professionnels interrogés dans les MSP de Bourgogne-Franche-Comté jugent que cette organisation a « redonné une dynamique positive à leur exercice quotidien » (Enquête régionale URPS 2022).

L’appartenance à un groupe facilite également la formation continue : formations croisées, échanges de pratiques, conférences organisées avec des intervenants extérieurs. Cela participe à une professionnalisation accrue de l’exercice libéral et nourrit le sentiment de progresser dans sa pratique.

Effets collatéraux positifs sur la patientèle

L’un des objectifs affichés du modèle coordonné concerne évidemment le parcours de soin, mais l’impact sur la patientèle rejaillit aussi sur le quotidien des soignants : réduction des ruptures de suivi, diminution des hospitalisations évitables, meilleure orientation, et accès facilité à des interventions préventives.

  • Selon la CNAM (rapport « Soins primaires et MSS », 2023), dans les territoires où la part de la population suivie dans une structure coordonnée dépasse 25 %, les taux d’adressage non-programmé vers les urgences baissent de 8 % en trois ans.
  • Les patients expriment également une meilleure satisfaction : 84 % des patients interrogés par l’INSERM en 2021 affirment « se sentir mieux suivis » dans le cadre d’une équipe coordonnée qu’en parcours isolé.

Cet écho patient, positif, représente pour les professionnels un levier de valorisation de leur pratique, dynamise la relation soignant-soigné, et encourage la persévérance dans un exercice exigeant.

Prendre part à la transformation du système de santé, au plus près du territoire

Au-delà des avantages individuels, exercer dans un modèle coordonné permet aux professionnels de santé de contribuer activement à la réorganisation des soins : implication dans les projets territoriaux, dialogue renforcé avec les acteurs sociaux, participation possible à des groupes de travail pilotés par les ARS ou les collectivités. Nombre de CPTS ou MSP sont à l’initiative de dispositifs d’accès aux soins pour publics éloignés (migrants, personnes à la rue), ou d’expérimentations autour de la télémédecine, la prévention ou l'éducation à la santé.

Cette implication locale nourrit la compréhension des enjeux collectifs et contribue à modeler un système de santé plus adapté aux réalités du territoire. Pour beaucoup de professionnels, notamment ceux ayant vécu la crise COVID, cette contribution à l’organisation de la réponse locale a redonné du sens à leur engagement quotidien (ISNI, 2021).

Pour aller plus loin : points de vigilance et perspectives

Si les atouts du travail coordonné sont reconnus, des défis persistent. Les outils numériques souffrent encore de peu d’interopérabilité, les moyens financiers alloués (majorations d’honoraires, dotations) sont jugés insuffisants par une partie des équipes. Par ailleurs, ce modèle suppose d’y investir du temps : réunions, élaboration du projet de santé, gestion du collectif. Il convient donc d’anticiper les étapes d'intégration, de former les équipes à la coopération, et de choisir avec pertinence les outils partagés.

Néanmoins, l’évolution actuelle du système de santé tend à renforcer le modèle coordonné, salué par la majorité des acteurs comme vecteur d’attractivité, de qualité et de préservation de la santé des soignants. Les perspectives ouvertes par la e-santé, l’enrichissement des compétences (IPA, professionnels de coordination), et l’émergence d’une nouvelle culture du pluripro sont autant d’opportunités à saisir, à ajuster en fonction des réalités des territoires. Les initiatives locales, déjà nombreuses, offrent dès aujourd’hui des réponses inspirantes à ceux qui hésitent encore à franchir le pas.