Centres de santé : repères clés et différenciation au sein du premier recours

8 juin 2025

Centres de santé : une définition structurante dans le paysage français

Les centres de santé, bien implantés dans l’histoire sanitaire française, connaissent un regain d’attention depuis une quinzaine d’années dans les débats liés à l’accès aux soins et à la structuration de l’offre de proximité. Mais que recouvre précisément la notion de centre de santé ? Selon l’article L6323-1 du Code de la santé publique, un centre de santé est une structure où exercent, de manière salariée, des professionnels de santé – médicaux, paramédicaux ou dentaires – au service d’une mission définie par un projet de santé, associant prévention, soins, accompagnement social et coordination.

À la différence d’autres formes d’organisation, les centres de santé ne relèvent pas du secteur libéral : ils sont créés et gérés par des personnes morales à but non lucratif (associations, mutuelles, municipalités, fondations, éventuellement des établissements de santé publics). Cette structuration porte un sens fort : l’exercice groupé, multiprofessionnel, intégré, avec le souci permanent de l’accessibilité tarifaire (tiers payant systématique, absence de dépassements d’honoraires) et d’un ancrage territorial.

Le cadre légal et les fondamentaux organisationnels

Les textes de 2009 puis l’ordonnance du 12 janvier 2018 sont venus préciser le socle réglementaire des centres de santé. Ils doivent, pour y prétendre, déposer un projet de santé auprès de l’Agence régionale de santé, définir des modalités de gouvernance internes, et respecter des obligations relatives au suivi d’activité (rapport d’activité, données annuelles publiques).

  • Ouverture : Toute personne peut accéder à un centre de santé sans restriction, sur simple prise de rendez-vous ou en consultation spontanée.
  • Neutralité tarifaire : Conventionnés secteur 1, appliquant le tiers payant pour tous, ils n’appliquent aucun dépassement, même pour motifs AD.
  • Salariat : Les praticiens ne sont pas "libéraux", mais salariés de la structure – un modèle porteur d’atouts, notamment pour l’attractivité des zones en tension médicale.
  • Champ d’activité : Polyvalence fréquente (médecine, soins infirmiers, dentaire, sages-femmes, parfois kinésithérapie, psychologie, accompagnement social...)

Chiffres-clés et évolution récente des centres de santé

En 2023, la France comptait environ 2 150 centres de santé (source : Observatoire des Centres de Santé, UNCAM/Ministère de la Santé), dont plus de la moitié centrés sur la médecine généraliste et la médecine pluridisciplinaire, le reste relevant du secteur dentaire ou polyclinique. On note depuis 2015 une croissance annuelle moyenne de 7 à 10 % du nombre de centres sur le territoire, portée par l’investissement de collectivités locales, de mutuelles et par l’expérimentation de nouveaux formats (centres universitaires, centres à vocation sociale...).

  • 17 % des centres sont gérés par des organismes mutualistes (issus des œuvres sociales historiques comme la MGEN ou la Mutuelle Générale), près de 60 % par des collectivités territoriales (communes, CCAS) et environ 20 % par le secteur associatif.
  • Plus de 15 000 médecins et personnels paramédicaux exercent dans ces structures, à près de 60 % en temps partiel.
  • Les centres de santé réalisent environ 10 % de la totalité des consultations de médecine générale en France métropolitaine (CNAM, 2023).
  • Dans les territoires très déficitaires en médecins, ils sont souvent le seul accès de proximité à des soins primaires sans reste à charge (carte interactive Atlas Santé France, DREES).

Différencier centres, maisons de santé et cabinets libéraux : décryptage comparatif

Centres de santé vs maisons de santé pluriprofessionnelles

  • Statut juridique : Les maisons de santé regroupent des professionnels libéraux, qui exercent en indépendants mais structurent un projet de santé partagé. Les centres de santé salarient leur personnel.
  • Facturation : Centre de santé : pas de dépassement d’honoraires, tiers payant garanti pour tous. Maison de santé : respect du conventionnement de chaque professionnel (secteur 1 ou 2), pas de tiers payant systématique.
  • Gouvernance : Dans les maisons de santé, la gouvernance est assurée par les praticiens eux-mêmes (SISA, association, SCML…), alors que dans un centre de santé, la structure gestionnaire (élu, mutuelle ou association) encadre la direction et la stratégie.
  • Insertion territoriale : Les deux formats développent des partenariats de proximité (réseaux de soins, réseaux sociaux, prévention, liens avec les CPTS), mais l’action collective en matière de santé publique (dépistages, éducation à la santé, prévention collective) est obligatoire dans les centres de santé.

Centre de santé vs cabinet de groupe (libéral)

  • Un cabinet de groupe libéral réunit des praticiens qui mutualisent leurs locaux et parfois leurs secrétariats, mais conservent chacun leur propre activité, revenu et patientèle.
  • Pas de projet de santé formel ni d’action de santé publique prévue par la loi : l’exercice est individuel dans sa responsabilité, collectif dans la logistique.
  • Les cabinets de groupe ne permettent pas systématiquement le tiers payant ; le taux moyen d’application est estimé autour de 30 % selon la Drees (2022).

Centres de santé, maisons de garde et autres formes

  • Les maisons de garde ou permanences d’accès aux soins relèvent généralement d’associations ou de l’organisation par les ordres professionnels, pour la gestion des soins non programmés (soirées, week-end). Elles n’impliquent pas d’emploi salarié, ni de missions de prévention.
  • Certains centres municipaux de santé occupent une fonction de centre d’accès social (ex : centres municipaux d’Argenteuil ou d’Aulnay-sous-Bois) : ils proposent consultations de médecine générale, accès dentaire, permanente infirmière, ateliers d’éducation à la santé, accompagnement social, et permanences d’accès aux droits, en articulation avec les bailleurs, CCAS et services sociaux.

Les missions spécifiques des centres de santé : au cœur de la mission de service public

Les centres de santé n’assurent pas seulement des consultations. Ils portent une triple mission qui les distingue :

  1. Prévention et promotion de la santé : campagnes de dépistage (cancer, diabète, vaccination), ateliers collectifs (nutrition, activité physique, santé mentale), scolaires ou tout public.
  2. Soins coordonnés : protocoles de coopération entre professions, suivi des patients en équipe pluridisciplinaire, accès facilité pour les publics précaires, dispositifs pour les patients sans médecin traitant.
  3. Action sociale : accueil de personnes en situation de grande précarité, accompagnement des démarches d’accès aux droits (CMU, AME, PUMA), point d’information sociosanitaire.

En 2022, 82 % des centres affichaient au moins une action annuelle de prévention collective (UNPS/Observatoire 2023), contre moins de 17 % pour les autres structures de soins primaires.

Accessibilité et présence dans les territoires : quelles réalités ?

Les centres de santé se situent majoritairement dans les grandes agglomérations, mais leur renaissance s’observe de plus en plus dans les territoires ruraux ou périurbains marqués par une baisse continue de l’offre libérale : le nombre de centres ouverts dans les zones sous-denses a augmenté de 98 % entre 2015 et 2022 (données Cnam / Drees). Par exemple, dans le département du Cantal, la commune de Murat s’est dotée en 2018 d’un centre médical communal qui emploi 5 praticiens salariés, accueillant près de 10 000 patients par an dans un territoire autrement déserté (source : France Inter, reportage février 2023).

Parmi les leviers d’implantation, on retrouve souvent :

  • L’appui des collectivités qui souhaitent garantir l’accès à des soins quel que soit le contexte démographique.
  • L’initiative des mutuelles pour renforcer l’offre dans leurs bassins historiques.
  • Les réponses à des appels à projets ARS (fonds d’innovation, fonds d’intervention régional...)

Quels enjeux contemporains pour les centres de santé ?

Aujourd’hui, les centres de santé sont confrontés à plusieurs enjeux majeurs :

  • Modèle économique : Le salariat et l’absence de dépassements imposent une recherche permanente d’équilibre financier. L’essentiel des ressources provient des actes réalisés, complétées par des financements spécifiques (missions de santé publique, dotations ARS).
  • Recrutement médical : Malgré l’attractivité du salariat pour certains profils (jeunes praticiens, femmes médecins, professionnels en recherche d’équilibre vie pro/perso), les mêmes tensions s’exercent que dans le reste du secteur.
  • Transformation numérique : Les centres de santé sont en première ligne pour l’appropriation des outils de coordination, du dossier médical partagé, de la téléconsultation, souvent avec des moyens limités.
  • Intégration territoriale : Articulation croissante avec les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les hôpitaux de proximité et les dispositifs d’appui à la coordination, pour répondre aux nouveaux besoins de la population.

On observe par ailleurs une diversification des modèles : des centres universitaires, des centres spécialisés (addictologie, santé sexuelle…), des alliances avec les hôpitaux locaux, ou encore le lancement de centres visant spécifiquement l’accès aux soins des plus précaires (Médecins du Monde, centres PASS municipalisés…).

Pistes d’évolution et nouveaux visages des centres de santé

Le centre de santé se révèle dans la capacité à relier soins, accompagnement, prévention, et inclusion sociale à l’échelle locale, en adaptant ses modalités d’action à la diversité des territoires et à des besoins en transformation rapide. Sa croissance pose la question d’une évolution de la régulation publique, entre extension des délégations de missions de service public et sécurisation des financements, et d’une reconnaissance croissante par les ARS, mais aussi par les acteurs des CPTS et les élus locaux.

Plus qu’une offre de soins parmi d’autres, le centre de santé s’impose aujourd’hui comme une forme d’organisation permettant d’expérimenter, de coordonner et de garantir un égal accès aux soins et à la prévention – la dynamique territoriale se joue aussi là.