Qu’apportent les professionnels en pratiques avancées au dynamisme des territoires ?

1 novembre 2025

Une évolution du cadre professionnel portée par des besoins territoriaux

La création en France du statut de professionnel de santé en pratiques avancées, avec la loi de modernisation du système de santé de 2016, répond à la nécessité d’adapter l’offre de soins à l’hétérogénéité des territoires. Cette évolution vise résolument à offrir une réponse plus rapide et plus qualitative aux besoins des habitants, tout en fluidifiant les parcours de santé (Sénat, rapport 2018).

Aujourd’hui, environ 2 500 infirmiers en pratique avancée (IPA) exercent en France, nombre en rapide croissance (Ministère de la Santé, chiffres 2023). Les modalités d’exercice restent majoritairement hospitalières, mais les dispositifs territoriaux, en ville, connaissent une dynamique soutenue, particulièrement dans les zones sous-dotées.

Des compétences cliniques élargies et ajustées au contexte local

  • Analyse clinique approfondie : Les PPA réalisent des évaluations ciblées, adaptant leurs interventions à l’environnement démographique, épidémiologique et organisationnel du territoire (par exemple, gestion avancée de l’insuffisance cardiaque en Bourgogne, ou suivi du diabète en Hauts-de-France).
  • Initiative thérapeutique : Les IPA disposent d’une autonomie dans l’ajustement de traitements (prescription d’examens complémentaires, renouvellement ou adaptation de médicaments), encadrée par des protocoles locaux issus d’analyses de besoins. Cette autonomie facilite la fluidité des parcours, notamment dans les territoires insuffisamment couverts en médecins généralistes (HAS, 2022).
  • Gestion des situations complexes : Une compétence essentielle réside dans la prise en charge multi-pathologique, en ambulatoire, au plus proche du patient. Les PPA se distinguent par leur capacité à repérer des signaux faibles, à anticiper des complications, et à organiser rapidement les relais.
  • Utilisation raisonnée des ressources locales : L’organisation des soins en pratique avancée s’appuie sur une connaissance fine du tissu territorial, permettant d’aiguiller les patients vers les dispositifs de coordination (CPTS, DAC, maisons de santé), les dispositifs sociaux, ou de composer rapidement avec les ressources existantes.

De nouvelles compétences transversales au service de la coordination

Au-delà des aspects purement cliniques, l’apport des PPA se situe sur le plan organisationnel et relationnel. Ils deviennent souvent des pivots au sein des équipes pluriprofessionnelles.

  • Animation et coordination de parcours : Les PPA insufflent des dynamiques collaboratives, formalisent des protocoles partagés, et assurent la traçabilité des actions auprès des différents professionnels (généralistes, spécialistes, travailleurs sociaux, pharmaciens, etc.).
  • Transmission d’information : Leur légitimité, appuyée par leur formation de niveau master, leur permet d’être intermédiaires crédibles dans la transmission d’informations médicales entre la première ligne (médecins, infirmiers) et la seconde ligne hospitalière.
  • Formation et appui aux équipes : Les PPA initient régulièrement des actions de formation, par exemple sur la détection précoce de la décompensation d’une maladie chronique ou la gestion coordonnée d’une urgence non programmée au sein d’une maison de santé.
  • Veille et adaptation à l’innovation : Leur position leur impose d’avoir une veille scientifique et organisationnelle aiguë, notamment sur l’introduction de nouvelles thérapeutiques ou l’intégration du numérique en santé (télésurveillance, éducation thérapeutique à distance, etc.).

Capacités d’adaptation face aux spécificités territoriales

Le développement des PPA dans les territoires révèle leur aptitude à adapter leurs pratiques au “terrain réel”, fait de contraintes et d’opportunités diverses. Plusieurs compétences singulières émergent de cette expérience :

  1. Capacité d’évaluation populationnelle : Les PPA apprennent à cibler leurs interventions non seulement selon les besoins cliniques individuels, mais aussi selon des indicateurs populationnels (prévalence de pathologies chroniques, inégalités sociales de santé, accès aux droits, etc.).
  2. Résolution de problèmes en contexte contraint : Dans les zones rurales ou périurbaines, la rareté des ressources professionnelles oblige à une grande créativité, que ce soit dans la gestion de files actives importantes, l’organisation de permanences avancées, ou la prise en charge d’urgences “hors-cadres”.
  3. Intégration dans les dynamiques locales : Les retours de terrain montrent que l’insertion des PPA est grandement facilitée lorsqu’ils s’intègrent aux dispositifs locaux (CPTS, conseils locaux, réseaux d’appui), adaptant leurs compétences aux logiques du territoire plutôt qu’en imposant un modèle unique (Fédération des CPTS).

Développement de compétences non techniques : leadership, pédagogie et médiation

Dans la réalité territoriale, la légitimité des professionnels en pratiques avancées ne se décrète pas : elle se conquiert au quotidien, dans la rencontre avec les équipes et le public. De fait, plusieurs compétences dites “non techniques” sont systématiquement mobilisées.

  • Leadership collaboratif : Les PPA développent des compétences d’animation de groupes pluriprofessionnels et savent positionner leur expertise pour créer l’adhésion, sans jouer le rôle de “super-infirmier” ou de “prescripteur bis”.
  • Pédagogie adaptée : Qu’il s’agisse de sensibiliser les patients à l’autogestion de leur pathologie, d’expliquer aux familles les modalités du suivi, ou d’accompagner les jeunes professionnels, la pédagogie est une constante.
  • Médiation et gestion des conflits : L’action sur des territoires en tension (démographie médicale, tensions organisationnelles, attentes des usagers) suppose des compétences de négociation, de gestion de désaccords, ou de médiation interprofessionnelle, peu explorées dans la formation initiale traditionnelle.

Compétences spécifiques développées selon les territoires

L’enracinement territorial amplifie la singularité des compétences acquises. Plusieurs retours d’expérience illustrent la plasticité du modèle.

PPA en zone rurale PPA en quartier urbain prioritaire PPA auprès de populations précaires
- Organisation de tournées longues distances- Prise d’initiatives en situation d’urgence- Coordination avec la médecine générale libérale et les services d’urgence - Médiation interculturelle- Suivi des pathologies chroniques dans un contexte d’accès aux soins partiellement limité- Travail avec les associations locales - Repérage des situations de non recours- Lien avec les structures sociales et les dispositifs d’aide- Organisation de consultations “hors les murs”

L’impact observable des pratiques avancées sur le territoire

Les retours d’évaluation des expérimentations (ex. rapport IGAS 2022) soulignent un triple impact :

  • Amélioration de l’accès aux soins : Certains territoires ayant intégré des IPA déclarent une baisse du taux de renoncement aux consultations pour pathologies chroniques de près de 18% en deux ans (source : IGAS, 2022).
  • Fluidification des parcours : Sur plusieurs sites, les délais de suivi diabétologique ont diminué de 4 à 6 semaines après déploiement d’IPA en maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).
  • Valorisation des dynamiques collectives : L’effet d’entraînement des pratiques avancées rejaillit sur l’ensemble de la communauté professionnelle : protocolisation accrue, développement de la culture de l’évaluation, ouverture vers d’autres modèles coopératifs (pharmaciens en pratique avancée, protocoles de coopération, etc.).

Freins et leviers identifiés

L’acquisition et la mobilisation de ces nouvelles compétences se heurtent à certains obstacles documentés :

  • Reconnaissance parfois incomplète de leur autonomie sur le terrain, notamment par certains prescripteurs historiques
  • Manque d’accompagnement administratif et financier dans l’installation sur les territoires
  • Hétérogénéité de la formation et des référentiels locaux

Néanmoins, les expériences réussies montrent que la dynamique collective, l’existence de portages institutionnels forts (CPTS, ARS, structures d’appui), et le retour régulier d’évaluation permettent un ancrage territorial et un enrichissement professionnel constant.

Perspectives d’évolution et enjeux pour demain

À l’heure où la démographie médicale continue de se tendre et où les besoins populationnels se diversifient, le développement des professionnels en pratiques avancées s’impose comme une voie d’adaptation stratégique. Sur chaque territoire, les compétences acquises évoluent en symbiose avec les réalités locales : elles renforcent la réponse de santé publique, tout en ouvrant de nouveaux horizons pour les coopérations interprofessionnelles.

L’enjeu principal reste d’organiser l’accompagnement du déploiement de ces fonctions : structuration des parcours, harmonisation des référentiels, et valorisation des spécificités locales. Les PPA, loin d’être seulement des ressources supplémentaires, deviennent alors des catalyseurs de transformation et des porteurs d’innovation à l’échelle des territoires.

Dans les prochaines années, leur montée en puissance pourrait inspirer d’autres métiers et d’autres façons d’envisager la santé de proximité, en poursuivant une logique : partir du terrain, miser sur l’intelligence collective, et inscrire la montée en compétences dans le concret des besoins locaux.