Tisser des parcours lisibles : quels leviers pour faciliter l’orientation des patients à l’échelle territoriale ?

4 août 2025

Une problématique de lisibilité et d’équité d’accès

Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie rappelait en 2023 que 95% des Français résidaient à moins de 30 minutes d’un généraliste, mais que cette « proximité » cachait des écarts importants en temps d’attente et en lisibilité du système (Vie Publique). L’accompagnement dans le système de soins a fait l’objet d’alertes de la Défenseure des droits (2021), pointant des parcours parfois désorientants pour les publics fragiles et les régions sous-dotées.

  • 14 % des Français renoncent à des soins par manque d’information sur les structures disponibles sur leur territoire (Baromètre IRDES 2022).
  • Selon l’OCDE, la France est, parmi les pays riches, l’un où les patients passent encore le plus par les urgences faute de savoir à qui s’adresser d’abord.

Ce contexte appelle à la fois des solutions techniques (numériques, plateformes) et humaines (médiation, orientation physique ou téléphonique).

L’essor des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS)

Les CPTS, créées par la loi de 2016 et renforcées par la stratégie « Ma Santé 2022 », s’imposent aujourd’hui comme des acteurs majeurs de la lisibilité organisationnelle à l’échelle locale. Elles rassemblent professionnels libéraux, structures sanitaires, médico-sociales et sociales autour d’objectifs partagés.

  • + de 600 CPTS étaient actives fin 2023 (source : Assurance Maladie), couvrant plus de 70 % de la population, contre 120 en 2019.
  • Leur mission d’« amélioration de l’accès aux soins » vise explicitement la coordination des orientations : accès à un médecin traitant, organisation de parcours complexes, réponses aux demandes de soins non programmés.
  • Certaines CPTS expérimentent des référents orientation ou des guichets téléphoniques uniques, à la manière de la CPTS de Saint-Denis qui a mis en place une cellule de régulation pour les patients sans médecin traitant (Le Quotidien du Médecin, 2023).

Des services d’accès aux soins pour répondre à l’urgence et au besoin non programmé

Mis en place progressivement depuis 2021, les Services d’Accès aux Soins (SAS) visent à désengorger les urgences et proposer une réponse la plus rapide et adaptée possible aux demandes imprévues de soins.

  • Actifs dans 22 territoires pilotes en 2023 (Ministère de la Santé), les SAS articulent la régulation médicale du 15 avec des sorties vers les consultations de médecine générale, cabinets de ville, maisons de santé ou structures pluriprofessionnelles.
  • Leurs plateformes offrent une visibilité sur les professionnels disponibles, les créneaux ouverts, et permettent une orientation géolocalisée.

Ce dispositif a permis selon les premières évaluations une diminution de 15 à 20 % des passages relevant de soins primaires aux urgences dans les territoires couverts, là où les solutions alternatives sont bien identifiées et accessibles par les régulateurs (Ministère de la Santé).

Le rôle croissant des plateformes numériques territoriales

Le numérique complète aujourd’hui le maillage territorial d’orientation, en améliorant la visibilité de l’offre de soins et en simplifiant la mise en relation usagers-professionnels. L’enjeu est de garantir la fiabilité des informations et la coordination entre outils locaux et plateformes nationales (Doctolib, Santé.fr…).

  • Santé.fr : Ce portail public propose une cartographie exhaustive de l’offre de soins (professionnels, structures, centres de dépistage, vaccination, etc.), régulièrement enrichie par les Agences régionales de santé et les acteurs locaux.
  • Cartosanté, PAPS, Entourage : Des initiatives locales, comme PAPS en Nouvelle-Aquitaine ou le site Entourage en Île-de-France, présentent des annuaires actualisés et contextualisés. Cartosanté, outil de l’Assurance Maladie, permet en outre une lecture fine des zones à forte tension.
  • Initiatives privées et associatives : Certaines plateformes comme « Où sont mes médecins ? » créent des réseaux d’offres de soins centrés sur l’accessibilité horaire, parfois intégrés dans les dispositifs SAS locaux.

Malgré leur pertinence, ces outils butent sur plusieurs limites : fracture numérique, mise à jour des données, lisibilité pour des publics éloignés du numérique (voir l’étude du CGET sur l’illectronisme, 2022).

Médiateurs, référents et navigateurs : la médiation humaine pour les publics vulnérables

Face à la complexité perçue du système, la médiation humaine redevient un levier clé d’orientation. Plusieurs métiers émergent, avec des missions de facilitation, d’éducation à la santé, ou d’accompagnement social.

  • Les médiateurs en santé, déployés dans certains territoires, accompagnent les publics éloignés ou précaires vers les structures et droits auxquels ils peuvent prétendre (programme « Médiateurs santé-précarité » de la Fédération des acteurs de la solidarité).
  • Les infirmiers coordonnateurs ou Case Managers dans certains réseaux spécialisés jouent ce rôle pivot, par exemple dans l’accompagnement de patients atteints de maladies chroniques ou de pathologies complexes (HAS).
  • Des expériences telles que celle de la ville de Grenoble mobilisent des « navigateurs de parcours », salariés associatifs travaillant en binôme avec des accueillants hospitaliers pour fluidifier les passages entre ville et hôpital (source : RHF2023).

Les réseaux d'appui et guichets d’orientation

Pour des situations complexes – cumuls d’états de santé, précarité sociale, personnes âgées polypathologiques – plusieurs structures territoriales assurent l’orientation de second recours, voire un « guichet unique » :

  • Les plateformes territoriales d’appui (PTA) : généralistes, elles interviennent auprès des professionnels de santé et du médico-social pour organiser, suivre et ajuster les parcours individualisés. En 2023, 360 plateformes avaient été déployées couvrant l’ensemble des départements (Ministère de la Santé).
  • Les MAIA (Méthode d’Action pour l’Intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’Autonomie) : Elles coordonnent des parcours complexes pour les personnes âgées, expérimentant parfois des « gestionnaires de cas » pour organiser l’offre territoriale autour de l’usager (ANAP, 2022).
  • Les réseaux de santé spécialisés, par exemple en addictologie, en cancérologie, en soins palliatifs, jouent un rôle d’orientation sectorielle, en relais des dispositifs plus généralistes.

Nombre de ces dispositifs coopèrent désormais plus étroitement avec les CPTS locales, afin de clarifier l’offre et de limiter les empilements ou les redondances constatées par la Cour des Comptes (2022).

Co-construire la lisibilité territoriale : tendances et pistes nouvelles

L’observation des dynamiques locales fait ressortir plusieurs axes de transformation :

  1. Implication des usagers : Des « diagnostics par les pairs » (associations d’usagers, France Assos Santé) permettent de pointer les nœuds de confusion du parcours, comme l’a montré l’expérimentation menée dans le Tarn en 2023, où l’implication d’usagers a permis de repenser les documents et les trajets proposés dans la CPTS locale.
  2. Intégration numérique et physique : La combinaison outil numérique/local physique apparaît dans plusieurs départements. Par exemple, à Tourcoing, un portail numérique cartographie l’offre pendant que des médiateurs en santé sourcent et actualisent ces informations pour les publics sans accès Internet.
  3. Formation et soutien des professionnels : Les CPTS et PTA mettent en place des sessions d’information, des guides de ressources (versions papier, courtes vidéos d’usage) pour permettre aux professionnels de mieux aiguiller les patients, notamment lors de l’accueil des nouveaux arrivants ou en cas de rupture de suivi.
  4. Focus sur le premier recours et décloisonnement avec le social : Les initiatives qui regroupent santé, social et médico-social (comme le dispositif « Accueil Santé Solidarité » piloté par la Mairie de Lyon) semblent particulièrement efficaces pour les publics cumulant vulnérabilités.

Synthèse et perspectives territoriales

L’orientation efficiente des patients dans le parcours de soins repose sur une pluralité de leviers : outils numériques, cellules de régulation, réseaux d’appui, mais aussi, et surtout, sur des dynamiques partenariales et l’ancrage humain dans le maillage territorial. Les expériences convergent vers quelques lignes de force :

  • L’implication des patients dans la conception des dispositifs, afin de prendre en compte les usages et besoins réels.
  • La coopération accrue entre CPTS, PTA, et services sociaux dans une logique de « guichet intégré ».
  • La veille et l’actualisation continue des outils, pour garantir une information fiable à l’échelle locale.

Face à l’ampleur de la tâche, beaucoup reste à inventer dans la construction d’un écosystème d’orientation cohérent et lisible pour tous : la territorialisation de l’offre, engagée depuis quelques années, semble porter ses premiers fruits, mais suppose encore d’affiner la coopération et l’expérimentation locale.