L’équipe de soins primaires : pilier coopératif du premier recours en santé

31 mai 2025

Comprendre les équipes de soins primaires : repères pour l’organisation locale

Au cœur des réformes du système de santé français depuis une quinzaine d’années, l’organisation des soins de premier recours a vu émerger de nouvelles formes de travail collectif. Parmi elles, l’équipe de soins primaires (ESP) constitue une modalité souple mais stratégique de coordination des acteurs de santé à l’échelle locale, notamment en zones sous-dotées ou à forte dynamique démographique.

Définies dans la loi de modernisation du système de santé de 2016 (loi n°2016-41), les ESP font partie d'une famille plus large de dispositifs visant à structurer les parcours de santé autour de logiques coopératives. Elles partagent avec les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) l’ambition de rendre plus efficients et attractifs les soins de proximité (sources : Ministère de la Santé, Assurance Maladie).

Définition et cadre réglementaire des ESP

Une équipe de soins primaires est un collectif de professionnels de santé de premier recours (« soins primaires ») constitué de façon volontaire, sans création d’une nouvelle structure juridique. L’article L1411-11 du Code de la santé publique précise qu’il s’agit d’« un ensemble de professionnels de santé, constitué autour de médecins généralistes, qui assurent, à l’échelle d’un territoire donné, des soins non programmés et un suivi régulier et coordonné de la patientèle ».

Contrairement à d’autres dispositifs coopératifs (MSP, centres de santé, CPTS), l’ESP n’implique ni bâtiment spécifique, ni statut associatif ou structurel obligatoire. Elle repose sur des conventions d’engagement, généralement signées entre les professionnels participants et l’Assurance Maladie.

Les membres d’une équipe de soins primaires : diversité au service du patient

L’architecture d’une ESP est modulable, mais répond à quelques fondamentaux :

  • Présence obligatoire de médecins généralistes : pivot de l’ESP, au minimum deux praticiens volontaires d’un même territoire coordonnent l’équipe.
  • Professionnels paramédicaux : infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pharmaciens, orthophonistes, etc. Leur association est essentielle pour un suivi global et de qualité.
  • Partenariats ponctuels : assistants sociaux, psychologues, diététiciens, sages-femmes, podologues peuvent rejoindre ponctuellement l’ESP.

Aucun nombre minimal n’est fixé, hormis la présence d’au moins deux médecins généralistes. La flexibilité favorise l’adaptation à la réalité du terrain, souvent caractérisée par des densités professionnelles contrastées et des attentes différentes selon le profil des patients (ex. : zones rurales vs urbaines).

Missions et objectifs : le sens de la coordination autour du patient

L’ESP intervient sur des missions communes partagées :

  • Concertation et coordination fonctionnelle : partage d’informations sur les patients pris en charge, élaboration de protocoles communs (prise en charge des personnes âgées, patients diabétiques, suivi post-hospitalisation, etc.).
  • Organisation des soins non programmés: réponse collective à la demande de soins urgents, dans le respect de la continuité et de la permanence des soins.
  • Repérage et suivi des patients à risque : identification des patients polypathologiques, fragiles, ou en situation de précarité, mise en place de parcours personnalisés.

Cette logique de travail vise à :

  • Diminuer la fragmentation des prises en charge.
  • Améliorer le lien ville-hôpital grâce à la circulation d’informations adaptées.
  • Sécuriser les parcours en évitant les ruptures de suivi.
  • Augmenter la pertinence des interventions pour des patients présentant des problématiques multiples.

Fonctionnement concret : comment se structure une ESP ?

Le fonctionnement concret d'une équipe de soins primaires est volontairement souple, pour permettre aux professionnels de co-construire leur organisation selon les besoins de leur territoire. Toutefois, on repère plusieurs invariants :

  1. Réunions régulières : Ces rencontres (réunions de concertation pluriprofessionnelle, RCP) permettent de discuter de situations individuelles complexes, d’adapter des protocoles, ou de renforcer l’intégration entre pratiques.
  2. Outils de communication sécurisée : Carnets de liaison, messageries sécurisées (MS Santé), dossiers partagés pour garantir la confidentialité et l’accessibilité de l’information patient.
  3. Procédures d’orientation et d’accueil : Notamment pour les patients sans médecin traitant, ou en situation complexe.
  4. Délégation d’actes ou de suivi : Les infirmiers, pharmaciens ou autres peuvent être amenés à porter de nouveaux rôles dans le cadre de protocoles validés (ex : suivi d’AVC, vaccination, dépistage…).

Certains territoires bénéficient d’un appui de dispositifs complémentaires (équipes mobiles de soins, dispositifs d’appui à la coordination, etc.), créant ainsi un environnement propice à l’innovation organisationnelle locale.

Quels bénéfices pour les patients, les professionnels et le territoire ?

Les retours d’expérience depuis la généralisation des ESP en 2017 mettent en avant plusieurs avantages :

  • Pour les patients : meilleure fluidité des parcours, repérage plus précoce des fragilités, accès facilité à des soins et des conseils pluriprofessionnels, grande proximité.
  • Pour les professionnels : sentiment d’isolement moindre, montée en compétences sur la prise en charge coordonnée, décloisonnement des pratiques, et organisation partagée de la réponse à l’urgence ou aux soins non programmés.
  • Pour la régulation des systèmes locaux : meilleur accès aux soins dans les territoires considérés comme « déserts médicaux », optimisation de l’utilisation des ressources existantes, désengorgement partiel des urgences hospitalières (Santé publique France).

Une enquête menée en 2022 sur un panel d’ESP en Nouvelle-Aquitaine montre ainsi que plus de 60% des membres déclarent une amélioration de la qualité des échanges interprofessionnels et du suivi longitudinal des patients (source : Observatoire régional de la santé Nouvelle-Aquitaine).

ESP, MSP, CPTS : quelles différences ?

Une confusion fréquente existe entre équipes de soins primaires (ESP), maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Les distinctions essentielles sont :

  • MSP : structure avec existence juridique (SISA, loi HPST), locaux dédiés, financement spécifique, portage de projets collectifs structurants à l’échelle d’une patientèle. En 2023, plus de 2 100 MSP étaient recensées en France (CNSA).
  • ESP : collectif informel autour du médecin généraliste et de son cercle habituel de partenaires, sans structure dédiée.
  • CPTS : démarche territoriale de très grande échelle (ville, bassin), englobant soins de premier et de second recours, acteurs médicaux, paramédicaux, sociaux, médico-sociaux, pilotée généralement par une association de professionnels. En avril 2024, près de 580 CPTS ont été reconnues officiellement par l’Assurance Maladie (Assurance Maladie).

L’ESP s'adresse donc principalement à des territoires où la structuration formelle (MSP) est difficile mais où la volonté de coopération entre professionnels existe.

Des dynamiques locales variées et adaptatives

Le nombre précis d’ESP est difficile à établir : leur mode de constitution informel n’implique pas d’obligation d’enregistrement systématique. Selon l’Assurance Maladie, on comptait en 2023 plus de 1 600 ESP recensées, avec de fortes disparités territoriales : la Bourgogne-Franche-Comté, ainsi que des départements ruraux du Centre-Val de Loire et de Nouvelle-Aquitaine, présentent la plus forte proportion d’équipes constituées par professionnel de santé (source : Assurance Maladie).

Certaines ESP sont citées en exemple pour leur capacité à faire collaborer des réseaux parfois éclatés : participation d’infirmiers libéraux au suivi à domicile en lien étroit avec les médecins, implication de pharmacies dans la prévention ou le repérage de situations à risque, ou copilotage du parcours des patients chroniques.

L’Assurance Maladie, encouragée par la loi « Ma Santé 2022 », soutient la constitution et l’animation d’ESP via des forfaits d’aide à la coordination, qui peuvent atteindre 8 000 € par an par équipe, à condition de respecter certains critères (protocolisation, concertation, déclaration ROR…).

Dans les territoires où la démographie médicale est très contrainte, la souplesse du modèle ESP répond à la nécessité de construire des pratiques adaptées, sur la base de liens de confiance existants, tout en s’adossant aux dispositifs nationaux incitatifs.

Défis à relever et perspectives pour les ESP

Si le modèle ESP répond à nombre de défis, plusieurs enjeux restent à surveiller :

  • Pérennité de la dynamique collective : Sans temps dédié, sans pilotage structuré, la mobilisation reste dépendante de volontés individuelles et du contexte local.
  • Reconnaissance institutionnelle : Les ESP occupent parfois une zone « grise » dans le paysage sanitaire, rendant complexe leur articulation avec d’autres dispositifs (MSP, CPTS, réseaux d’appui...).
  • Intégration avec les outils numériques : Déploiement hétérogène du dossier médical partagé, messagerie sécurisée pas toujours interopérable.
  • Recharge hiérarchique et administrative : Charge administrative supplémentaire liée au reporting et à l’obligation de traçabilité des actions coordonnées, souvent assumée bénévolement ou à temps partiel.

Plusieurs rapports récents (Cour des Comptes 2023, IGAS 2021) soulignent toutefois la nécessité de soutenir et d’animer ce modèle, considéré comme un outil de « maillage souple » entre professionnels de premier recours, particulièrement en zone rurale ou périphérique (Cour des Comptes).

Un levier décisif pour la transformation des soins de proximité

L’équipe de soins primaires s’inscrit ainsi dans la dynamique de transformation actuelle du système de santé français. Par leur flexibilité et leur ancrage territorial, les ESP permettent d’expérimenter de nouvelles formes de coopération, tout en favorisant la réponse coordonnée aux besoins concrets des populations. La diversité des configurations et l’adaptabilité du modèle montrent que l’innovation organisationnelle n’est pas l’apanage des grandes structures mais peut naître dans l’initiative locale, au plus près du quotidien des professionnels et de leurs patients.