Assurer la pérennité financière des organisations innovantes en soins primaires : enjeux, solutions et perspectives

1 juillet 2025

Les modèles innovants de soins primaires : quels financements aujourd’hui ?

En France, la majorité des innovations organisationnelles en soins primaires repose encore sur un assemblage hétérogène de ressources. Qu’il s’agisse de la création d’une MSP, du fonctionnement d’une CPTS ou du développement de nouveaux postes de coordination, le financement relève depuis 15 ans de dispositifs successifs :

  • Appels à projets régionaux (par exemple, Fonds d’Intervention Régional de l’Assurance Maladie - FIR, Appels à Manifestation d’Intérêt ARS)
  • Expérimentations nationales (art. 51 LFSS)
  • Contrats locaux (Accords Conventionnels Interprofessionnels pour les MSP, ACI pour les CPTS)
  • Financements locaux, parfois mobilisés par les collectivités ou fondations
Pour exemple, en 2023, les financements destinés aux près de 2 400 MSP représentaient environ 180 millions d’euros, dont plus de la moitié provient des forfaits versés par l’Assurance Maladie (source : DREES, Panorama 2023 des organisations en soins primaires).

Les CPTS, structures coopératives plus récentes, bénéficiaient d’une enveloppe nationale de 80 millions d’euros en 2023, majoritairement via les nouveaux forfaits inscrits dans l’Accord Conventionnel Interprofessionnel CPTS. Ces budgets, bien que croissants, restent modestes à l’échelle des besoins de transformation (Rapport IGAS, 2023).

Des modèles économiques fragiles et sous tension

Le principal frein à la diffusion des modèles innovants est la fragilité de leur modèle économique. Plusieurs faiblesses structurelles sont régulièrement mises en avant par les porteurs d’initiative et les acteurs d’appui :

  • Dépendance aux financements publics ponctuels : peu d’initiatives atteignent l’équilibre financier par leurs ressources propres. La fin d’un financement expérimental (type ARTEMIS, article 51) laisse parfois des structures sans relais pour maintenir leur activité.
  • Manque de stabilité pluriannuelle : la majorité des dotations, forfaits et appels à projets sont annualisés ou reconduits sur de courtes périodes ; cela limite la projection stratégique indispensable pour des projets collectifs.
  • Faible diversification des ressources : la recherche de financements privés, partenariaux ou européens reste marginale. Selon le Panorama ANAP 2023, moins de 10 % des MSP développent des partenariats durables avec des acteurs hors santé publique ou réseaux territoriaux.
  • Reconnaissance de la coordination, encore partielle : la rémunération des fonctions support (coordination, gestion, ingénierie de projet) peine à être pérennisée et valorisée au juste niveau, ce qui compromet l’efficacité fonctionnelle sur le long terme (ANAP, 2023).

A ces éléments s’ajoutent la démographie médicale en tension et les difficultés, dans certains territoires, à mobiliser suffisamment de professionnels prêts à s’engager dans des dynamiques collectives si l’équilibre économique n’est pas garanti.

Panorama des leviers de financement identifiés

Il existe pourtant plusieurs leviers, déjà partiellement expérimentés, qui peuvent accompagner l’émergence d’une logique plus durable.

1. Élargir et stabiliser les forfaits dédiés à l’organisation

  • L’évolution des forfaits ACI (contrats des MSP, CPTS) apparaît centrale. Ces contrats doivent s’aligner sur la réalité des missions : poursuite de l’élargissement des critères (accueil des internes, gestion des parcours complexes, accompagnement social, actions de prévention en population générale, etc.) et plafonds rehaussés pour intégrer la diversité des dynamiques (source : FFMPS, 2023).

2. Mobiliser et regrouper les financements territoriaux

  • Les Agences Régionales de Santé (ARS) et les collectivités disposent encore de marges de manœuvre. Plusieurs régions (Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes) ont regroupé des lignes spécifiques santé territoriale, rendant possible un effet levier. La corrélation entre engagement local et financement pérenne est particulièrement notable pour les dispositifs de santé scolaire, de médiation en santé ou de prévention communautaire (Source : Observatoire Régional de la Santé AURA, 2022).

3. S’appuyer sur des cofinancements innovants et des appels à projets croisés

  • Quelques initiatives françaises commencent à s’appuyer sur des fonds européens, des partenariats avec des collectivités locales ou la philanthropie sociale comme complément – citons l’exemple du fonds d’innovation ESS en Île-de-France ou les collaborations avec la Fondation de France dans le Lot-et-Garonne (Source : ARS Île-de-France, 2022).

4. Renforcer la légitimité des organisations grâce à l’évaluation

  • Les modèles dont la valeur ajoutée est documentée trouvent plus aisément des relais de financement. Le dispositif MAIA a su convaincre grâce à des évaluations nationales (rapport IGAS, 2018) qui ont permis leur intégration progressive dans l’organisation sanitaire. Les CPTS, en produisant des livrables sur leur impact (réduction des passages aux urgences, meilleure coordination des parcours complexes), commencent également à structurer leur plaidoyer pour de nouveaux financements pérennes (URPS Médecins, 2024).

Focus sur trois exemples locaux : approches territorialisées du financement

L’observation de la diversité des financements locaux permet d’illustrer les marges de manœuvre spécifiques, parfois éloignées des schémas nationaux.

La MSP de Châteauneuf-sur-Loire : mobilisation multi-acteurs

Dans le Loiret, la MSP Châteauneuf-sur-Loire a associé, dès son ouverture en 2017, l’ARS Centre-Val de Loire, la commune, la Communauté de communes et la CPAM pour construire un montage financier sur 5 ans, intégrant :

  • Un forfait ACI majoré (missions étendues : éducation thérapeutique, formation commune)
  • Deux postes de coordination partagés (un soutenu par la commune, un par l’ARS via le Fonds d’Intervention Régional)
  • L’implication d’une plateforme d’ingénierie territoriale (financé par le département)
Cette approche a permis l’obtention d’une stabilité organisationnelle et le développement d’actions de prévention au-delà du socle classique (Source : URPS Centre-Val de Loire, 2023).

CPTS du Médoc : expérimentation du financement croisé

En Gironde, la CPTS du Médoc a bénéficié d’une expérimentation pilotée par l’ARS Nouvelle-Aquitaine associant :

  • Forfait ACI
  • Financement exceptionnel FAMI (Fonds Asile, Migration, Intégration) pour le volet santé des publics migrants
  • Appui du Conseil départemental sur la santé des jeunes
  • Soutien de la Fondation MACIF pour les actions de médiation
Cette diversification a facilité la création de projets à forte valeur ajoutée pour le territoire, et une meilleure résilience face à la fin des financements spécifiques.

Diversification par la formation et l’innovation numérique

Certaines MSP ont initié une stratégie de diversification en proposant des services à d’autres structures du territoire (formations, développement d’outils de télésanté, mutualisation de fonctions support). Le Réseau des MSP de l’Indre (Région Centre) mutualise ainsi la fonction secrétariat auprès de structures voisines, assurant ainsi une part du budget hors financement public traditionnel (Source : Réseau MSP Indre, 2023).

Quelles perspectives et conditions pour assurer la pérennité ?

Des enseignements transversaux émergent :

  • Inscrire les financements dans la durée : développer des conventions pluriannuelles d’objectifs et de moyens (CPOM) avec les ARS, incluant une clause de progression des missions et des dotations ajustées à la charge réelle de travail.
  • Systématiser l’évaluation d’impact : inscrire une obligation d’évaluation partagée, permettant d’objectiver l’utilité et d’adapter les enveloppes sur des indicateurs de résultats concrets (hospitalisations évitées, taux de recours coordinateur, satisfaction des usagers).
  • Favoriser la montée en compétence en ingénierie financière : l’accès à l’expertise (ingénierie de projet, recherche de cofinancements) devrait devenir un pilier de l’accompagnement par les ARS, agences de développement régionales ou chambres des métiers de l’économie sociale et solidaire (ESS France, 2023).
  • Encourager la mutualisation territoriale : le partage de fonctions support (coordination administrative, gestion RH, outils numériques mutualisés) entre plusieurs structures limite la dépendance individuelle à l’égard d’une seule source de financement.
  • Expérimenter de nouvelles formes de paiement : la réflexion sur de nouveaux modèles de rémunération à la performance populationnelle ou “pay-for-success” (comme testé dans le programme “InPACT” au Canada ou dans certains territoires américains) reste à documenter finement, mais ouvre des pistes innovantes aux acteurs français (conf. ILO, 2022).

À l’heure où la planification écologique et sociale des territoires prend toute sa place, la question du financement durable des modèles innovants d’organisation des soins primaires est plus que jamais au cœur du débat. L’enjeu est double : il s’agit d’assurer l’avenir d’une offre de soins de proximité efficace et adaptée aux besoins spécifiques des territoires, tout en évitant de cantonner l’innovation à des cycles d’expérimentation répétés. La consolidation des financements publics, l’ouverture vers des partenariats nouveaux et l’ancrage dans la mesure d’impact sont aujourd’hui les clés les plus prometteuses pour faire des territoires de véritables laboratoires durables de la transformation du système de santé.