Démystifier la maison de santé pluriprofessionnelle : organisation, dynamiques et apports concrets

5 juin 2025

Les maisons de santé pluriprofessionnelles : cadre, définitions et ambitions

Depuis leur apparition dans les années 2000, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) se sont imposées comme des structures centrales pour l’organisation des soins de proximité en France. À la croisée des enjeux démographiques et de l’objectif de renforcer la coordination des parcours de santé, elles incarnent une forme d’exercice collectif qui façonne le quotidien de milliers de professionnels et de patients.

Une MSP est, selon le code de la santé publique, “un regroupement de professionnels de santé de premiers recours, qui exercent leur activité de façon coordonnée au bénéfice des patients.” (Article L6323-3 du CSP). Elle rassemble au moins deux médecins généralistes et un ou plusieurs professionnels paramédicaux, mais la tendance est à la diversification des profils et des compétences au sein des équipes (diététiciens, psychologues, pharmaciens, assistants sociaux, etc.).

L’une des ambitions fortes du modèle est d’apporter une réponse à la désertification médicale en favorisant l’attractivité de l’exercice en équipe et en mutualisant des moyens pour mieux irriguer les territoires fragiles. À la fin de l’année 2022, la France comptait plus de 2 000 maisons de santé pluriprofessionnelles en fonctionnement, un chiffre multiplié par près de dix en dix ans (Drees, 2023).

Composition et organisation d’une MSP : qui fait quoi ?

La dynamique d’une MSP repose d’abord sur la démarche volontaire des professionnels, qui s’associent autour d’un projet de santé formalisé. Ce document, indispensable à la labellisation par l’Agence régionale de santé (ARS), fixe les priorités collectives, les modalités de travail coordonné et les actions prévues sur le territoire.

  • Médecins généralistes : Souvent porteurs du projet initial, ils travaillent aux côtés d’autres praticiens. Leur implication dans l’organisation de la structure est centrale.
  • Infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes : Ils sont systématiquement présents et jouent un rôle majeur dans l’accompagnement des patients chroniques ou en perte d’autonomie.
  • Paramédicaux et autres professionnels de santé : L’ouverture à des métiers comme la pharmacie, la diététique ou la psychologie s’élargit au fil des besoins locaux.
  • Personnel administratif et de coordination : Le recours à un coordinateur ou à un secrétaire est aujourd’hui un facteur clé, tant pour soulager les soignants que pour structurer l’activité (source : FFMPS, Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé).

La gestion courante est souvent confiée à une association de loi 1901 ou à une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA), dont la création facilite la gestion financière et la contractualisation collective.

Le projet de santé : moteur stratégique de la MSP

Cœur du fonctionnement, le projet de santé rassemble l’équipe autour de valeurs et d’objectifs communs. Il comprend généralement :

  • Une analyse des besoins locaux de santé (vieillissement, pathologies chroniques, précarité, etc.).
  • Des engagements concrets sur la coordination des soins (accueil sans rendez-vous, consultations avancées, gestion des urgences mineures).
  • Des actions de prévention (éducation thérapeutique, dépistages, ateliers santé).
  • Des dispositifs d’articulation avec les partenaires médico-sociaux, sociaux et hospitaliers.

L'ARS évalue ce projet pour délivrer (ou renouveler) l’agrément de la MSP, souvent conditionné à des financements spécifiques (ACI, Article 51, programmes régionaux expérimentaux).

Le fonctionnement interprofessionnel : pratiques et outils du quotidien

Coopérer, c’est le mot d’ordre. Le fonctionnement quotidien se traduit par des actions coordonnées, sous des formes variées :

  • Réunions de concertation pluriprofessionnelles : Organisées de manière hebdomadaire ou mensuelle, elles permettent l’échange d’informations sur les patients complexes, la planification d’actions collectives ou le partage de retours d’expérience.
  • Dossiers patients partagés (DPI) : L’utilisation de logiciels d’information communs, longtemps freinée par l’interopérabilité, se généralise, souvent sous forme de dossiers informatisés accessibles à tout professionnel intervenant auprès d’un même patient.
  • Protocoles et délégations de tâches : Certaines MSP mettent en œuvre des protocoles de coopération, par exemple pour l’infirmier en premier recours sur les plaies ou la vaccination antigrippale, dans le cadre de l’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI).

Sur le terrain, ces pratiques produisent des effets concrets : échanges plus fluides, identification rapide des situations à risque, meilleure continuité des parcours, sentiment d’appartenance à une équipe.

Prise en charge globale et accès aux soins : quels impacts des MSP ?

Les maisons de santé pluriprofessionnelles se distinguent par leur capacité à organiser une prise en charge globale du patient, en dépassant le simple enchaînement d’actes individuels. Cela présente plusieurs bénéfices identifiés par les études récentes :

  • Amélioration de l’accès aux soins : Les MSP allongent l’amplitude horaire d’ouverture (souvent jusqu’à 18h30-19h ou le samedi matin), réduisent les délais de rendez-vous et offrent fréquemment des créneaux pour les « nouveaux patients », notamment dans les zones sous-dotées (source : IGAS, rapport 2022).
  • Réponse globale à des besoins complexes : Le décloisonnement professionnel facilite une approche médico-psycho-sociale, par exemple face aux situations de précarité, d’isolement ou de polypathologie.
  • Développement des actions de santé publique : Les MSP multiplient les campagnes de vaccination, d’éducation à la santé et de dépistage, souvent en partenariat avec les municipalités ou les associations locales.

Une enquête de la Drees en 2021 montrait que 83 % des MSP avaient organisé au moins une action collective de prévention au cours de l’année écoulée, contrastant nettement avec l’exercice isolé.

Financement, articulation avec les partenaires et enjeux territoriaux

Les modalités de financement des MSP se sont diversifiées ces dernières années. Outre les rémunérations classiques à l’acte, l’exercice coordonné ouvre l’accès à des financements collectifs, notamment :

  • Accord conventionnel interprofessionnel (ACI) : Il rémunère des missions précises (coordination, protocoles, accueil de stagiaires, actions de prévention, etc.). En moyenne, les MSP perçoivent 50 000 à 70 000 euros par an dans ce cadre (Assurance Maladie, 2021).
  • Expérimentations Article 51 : Permettent de tester de nouveaux modèles organisationnels ou de paiement, par exemple des financements forfaitaires liés à la qualité du suivi des patients diabétiques ou à la réduction des hospitalisations évitables.
  • Soutiens des collectivités : Certaines collectivités locales, soucieuses d’endiguer la désertification médicale, cofinancent la construction ou l’équipement initial des MSP, participent à la création des postes de coordination, ou proposent des avantages pour attirer de nouveaux professionnels (prime d’installation, aide au logement, etc.).

La diversité de ces financements rend cependant la gestion complexe : près de 40 % des MSP estiment manquer de lisibilité sur leurs ressources à moyen terme (Baromètre FFMPS 2023).

La collaboration ne s’arrête pas à la porte de la MSP. Les équipes instaurent fréquemment des liens avec :

  • les centres hospitaliers de proximité pour fluidifier les admissions, sorties et suivis,
  • les structures d’appui à la coordination (PTA, MAIA, DAC),
  • les acteurs du médico-social (EHPAD, services à domicile),
  • les élus locaux pour l’identification des besoins et la mobilisation des habitants.

Limites, expérimentations et perspectives

L’essor des MSP n’est pas exempt d’écueils. Complexité administrative, difficulté de recrutement, manque de formation à la gestion de projets collectifs figurent parmi les freins régulièrement remontés par les équipes. Par ailleurs, la pénétration du modèle n’est pas homogène : si près de 80 % des MSP sont localisées en zone rurale ou périurbaine, leur développement dans les quartiers urbains est souvent plus laborieux (source : Drees, 2023).

Pour dépasser ces obstacles, plusieurs expérimentations voient le jour : plateformes numériques pour l’automatisation de la coordination, formations à la médiation en santé, dispositifs d’innovation organisationnelle (téléconsultations intégrées, nouveaux métiers type infirmiers “coordinateurs de parcours”).

À l’horizon 2027, la Stratégie nationale de santé prévoit de doubler le nombre d’équipes en exercice coordonné, en s’appuyant sur le succès et la capitalisation des retours d’expérience issus des premiers déploiements.

La MSP, une fabrique locale de dynamiques collectives

Au fil des années, les maisons de santé pluriprofessionnelles ont transformé la manière dont se construisent les parcours patients et les relations interprofessionnelles dans de nombreux territoires. Elles démontrent quotidiennement la valeur de l’action collective, en conjuguant réponses pragmatiques aux besoins de santé et expérimentation organisationnelle.

S’installer en MSP, y travailler ou y collaborer, c’est aujourd’hui appartenir à une dynamique qui cherche à réinventer, localement, la proximité et la qualité de l’offre de soins. Les défis restent réels, mais les retours d’expérience alimentent la réflexion continue sur ce que pourrait être, demain, une organisation de santé à la mesure des attentes territoriales et humaines.