Formation continue et pratiques avancées : catalyseurs de transformation dans les soins de premier recours

5 novembre 2025

Définir les pratiques avancées en contexte territorial

Les pratiques avancées désignent, selon le Code de la santé publique, « l’exercice, par des professionnels paramédicaux, d’activités d’orientation, d’évaluation, de prévention ou de suivi clinique ». L’introduction des infirmier(e)s en pratiques avancées (loi santé 2016, décret de juillet 2018) incarne cette dynamique, tout comme l’extension des protocoles de coopération ou l’élargissement des compétences vaccinales de plusieurs professions.

Dans les territoires, le développement de ces pratiques ne se réduit pas à une simple question de délégation d’actes. Il s’agit d’inscrire ces compétences dans des réponses ajustées aux besoins locaux : suivi des patients souffrant de maladies chroniques, prise en charge de la polypathologie, organisation des parcours complexes, ou encore réponse à la raréfaction médicale. Mettre en mouvement ces compétences suppose un investissement régulier dans la formation continue, afin de répondre à la fois aux enjeux scientifiques, réglementaires et organisationnels.

Les dispositifs de formation continue : panorama et dynamiques d’adaptation

En France, la formation continue des professionnels de santé repose sur le Développement Professionnel Continu (DPC), institué par la loi HPST de 2009 et réaffirmé dans la loi de modernisation de notre système de santé en 2016. L’Agence nationale du DPC recense plus de 2 400 organismes de formation agréés, couvrant des champs aussi variés que la gestion des pathologies chroniques, l’éducation thérapeutique du patient, ou la coordination interprofessionnelle.

  • Formations diplômantes et universitaires : les cursus menant aux pratiques avancées (Diplômes d’Université, Master IPA, DU gestion de la douleur, etc.) connaissent un essor notable. En 2022, près de 1 800 infirmiers étaient en formation ou diplômés en pratiques avancées (source : Ministère de la Santé, chiffres 2023). Ce chiffre connaît une croissance annuelle proche de 30% depuis 2020, témoignant de l’intérêt croissant sur le terrain.
  • Formations courtes ou thématiques : ateliers, séminaires, e-learning centrés sur le repérage de la fragilité, l’initiation à la télémédecine ou les techniques d’entretien motivationnel, constituent des appuis précieux pour l’adaptation rapide des pratiques.
  • Actions formatives collectives : issues d’initiatives territoriales (CPTS, MSP, Communautés professionnelles), elles prennent souvent la forme de réunions de concertation pluriprofessionnelle, d’analyses de cas partagées ou de journées thématiques ouvertes à l’ensemble des soignants du territoire.

L’impact concret de la formation continue sur les pratiques avancées de terrain

Les pratiques avancées, pour s’épanouir, nécessitent un environnement propice à la réflexion, à l’actualisation des connaissances et à l’expérimentation collective. Sur le terrain, plusieurs effets directs peuvent être observés :

  1. Amélioration de la qualité des soins : Les équipes ayant bénéficié d’actions de formation partagées décrivent une diminution des ruptures de parcours et une montée en compétence mesurable dans la gestion de situations cliniques complexes (cf. rapport de la HAS, 2021).
  2. Optimisation de l’organisation territoriale : À Limoges, la structuration d’un pôle de pratiques avancées intégrant IPA, pharmaciens et médecins généralistes s’est accompagnée d’un module de formation pluriprofessionnelle co-construit. Résultat : une réduction de 14% du nombre de rendez-vous non honorés sur deux ans et un meilleur partage des agendas médicaux (source : ARS Nouvelle-Aquitaine, 2023).
  3. Soutien à l’attractivité et à la fidélisation : Dans les territoires fragiles, l’accès à des parcours de formation continue innovants (hybride, simulation, tutorat) s’affirme comme un levier d’attractivité. Selon un sondage de la fédération des MSP (2022), 74% des soignants citent la formation continue comme un critère central du choix d’exercice en équipe.

La coopération interprofessionnelle renforcée par la formation

Les pratiques avancées ne prennent tout leur sens que dans une logique de complémentarité et de coordination. Or, la formation continue apparaît comme le creuset dans lequel les cultures professionnelles se croisent et s’apprivoisent.

  • Mise en place de protocoles partagés : Les CPTS et MSP organisent de plus en plus de sessions de co-formation centrées sur l’analyse de situations (prise en charge des plaies, du diabète, orientation vers la psychiatrie, etc.). Ces formats privilégient la discussion de cas concrets, la construction collective de protocoles, et l’harmonisation des pratiques. D’après une enquête CNSA (2021), 60% des communautés ayant mis en place des pratiques avancées estiment que les formations collectives ont eu un effet décisif dans l’acceptation et l’intégration des nouveaux rôles professionnels.
  • Développement d’outils et de référentiels communs : L’appropriation concertée du dossier médical partagé, des messageries sécurisées ou des outils numériques d’éducation thérapeutique passe souvent par une dynamique formative adaptée, intégrant les attentes spécifiques des acteurs locaux.

Les obstacles et les leviers repérés sur le terrain

Le développement des pratiques avancées soutenues par la formation continue rencontre néanmoins des limites :

  • Temps disponible et financement : Le manque de temps est mentionné par plus de la moitié des professionnels (Baromètre Conseil National de l’Ordre des Infirmiers, 2021). Si le financement, via le DPC notamment, a progressé (budget 2022 : près de 200 millions d’euros), l’accès à certains modules reste inégal sur le territoire.
  • Reconnaissance et valorisation : La reconnaissance institutionnelle du rôle des IPA ou des référents de parcours, ainsi que la valorisation financière, sont jugées encore « insuffisantes » par bon nombre de professionnels engagés dans les expériences avancées.
  • Déploiement inégal : On note une dynamique disparate selon les régions : ainsi, les IPA sont plus nombreuses en Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes (35 et 24% des effectifs en exercice respectivement, chiffres DREES 2023) qu’en Centre-Val de Loire (< 3%).

À l’inverse, des leviers sont de plus en plus repérés par les territoires eux-mêmes :

  • Modules hybrides et délocalisés : l’utilisation des plateformes de e-learning, couplées à des temps de regroupement en présentiel local, facilite l’accès des professionnels isolés.
  • Tutorat et compagnonnage : l’accompagnement par un pair ou un médecin référent, largement plébiscité dans les MSP rurales, soutient l’investissement dans les nouveaux rôles professionnels.

Perspectives et dynamiques à encourager

Le Conseil International des Infirmières rappelle qu’à l’échelle mondiale, les pays ayant investi dans les pratiques avancées appuyées sur la formation continue « constatent une amélioration significative de l’accès, du suivi et de la qualité des soins de premier recours ». Cette dynamique est appelée à prendre de l’ampleur en France, notamment au regard des objectifs du Ségur de la santé et du plan Ma Santé 2022.

Les initiatives locales se multiplient, à l’image de la CPTS du Grand Arras ayant créé un « lab » formation interprofessionnelle fédérant tous les acteurs du parcours en santé mentale, ou de la Maison de Santé Pluriprofessionnelle de Guéret expérimentant l’intégration des assistants de régulation grâce à une action formative adaptée. Quels points de vigilance et moteurs ?

  • Proximité des dispositifs et adaptation fine aux besoins du terrain ;
  • Mobilisation des financeurs pour garantir l’équité d’accès ;
  • Recherche d’un équilibre entre formation technique et appui organisationnel ;
  • Développement de l’évaluation des impacts sur les parcours et la qualité des soins.

Soutenir la formation continue n’est pas un luxe, mais bien une nécessité pour penser et faire vivre les pratiques avancées sur les territoires. L’enjeu ne se résume pas à l’acquisition de compétences « en plus » : il s’agit d’ancrer la transformation des soins au plus près des réalités locales, en nourrissant une véritable culture du partage, de l’innovation et de l’apprentissage collectif.