Assistants médicaux : catalyseurs des pratiques avancées en soins primaires sur les territoires

23 octobre 2025

Un enjeu d’organisation des soins dans un contexte de tensions croissantes

Sur la dernière décennie, le premier recours français fait face à des défis structurels majeurs : raréfaction de la démographie médicale dans de nombreuses zones, augmentation de la pression sur les cabinets, vieillissement de la population, transformation des attentes des usagers. Face à cette situation, les dispositifs visant à optimiser les organisations se multiplient. Parmi eux, le déploiement des assistants médicaux (AM) depuis 2019 s’impose comme l’une des innovations organisationnelles les plus importantes, avec un impact grandissant sur la structuration des pratiques avancées au sein des équipes de soins primaires – en particulier à l’échelle territoriale.

Le recours à ces nouveaux professionnels s’inscrit dans une logique : décharger les médecins d’actes « de soutien » au profit d’un recentrage sur les missions cliniques, en même temps qu’ouvrir la porte à d’autres modèles coopératifs (avec IPA, infirmier(e)s, pharmaciens, coordinations…). Mais au-delà des intentions, quel est l’impact réel de ces assistants sur l’émergence et la consolidation de pratiques avancées de premier recours à l’échelle des territoires ?

Assistants médicaux : composition du rôle et déploiement territorial

Nombre d’assistants médicaux (fin 2023) Cabinets ou structures bénéficiaires Objectif initial à 2022 Source
~4400 ETP +6500 4000 ETP Cnam, DREES

D’après les dernières statistiques de la Cnam et de la DREES (Panorama des acteurs de l’offre de soins, 2024), la progression dépasse les objectifs initiaux du plan Ma Santé 2022, même si la répartition reste contrastée entre zones urbaines et rurales – une surreprésentation dans les grandes villes, mais des dynamiques notables dans des déserts médicaux, en particulier via les MSP et les maisons de santé pluriprofessionnelles.

  • Profils : Personnels nouveaux ou reconvertis, issus du secrétariat médical, de l’aide-soignant, ou formés ad hoc (formation de 6 à 12 mois souvent en alternance, accompagnée d’un référentiel d’activités défini par arrêté).
  • Missions : Accueil, préparation des patients, recueil de données administratives et médicales, aide à la prise des constantes, gestion logistique, soutien à la coordination interne… et, dans certains cas, participation à des protocoles ou aides à la construction de parcours coordonnés, notamment dans les structures pluriprofessionnelles (Ameli.fr).

Levier d’efficience organisationnelle pour les cabinets et maisons de santé

L’introduction d’assistants médicaux a permis des évolutions tangibles dans le fonctionnement quotidien des équipes de soins primaires. Plusieurs études (dont l’évaluation de la Cour des Comptes de 2023 et l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé) constatent :

  • Un gain de temps médical estimé en moyenne entre 15 et 20 minutes par consultation (sources : ONDPS, Cnam, 2023).
  • Une capacité accrue de consultations médicales : jusqu’à +15% dans certains cabinets ou centres de santé ayant bien intégré les assistants médicaux, sans renoncer à la qualité (Cour des Comptes, 2023).
  • Une amélioration de la clarté des informations disponibles dans les dossiers patients (constantes systématiques lors de l’accueil, anticipation des besoins d’examens ou de prescriptions).

Ce gain d’efficience ne se traduit pas uniquement par un « temps libéré »: il permet également l’investissement des médecins, infirmiers, sages-femmes dans de nouvelles missions – celles justement caractérisant les pratiques avancées (suivi de pathologies chroniques complexes, démarche préventive, protocoles pluriprofessionnels, innovation organisationnelle).

Impulsion et ancrage des pratiques avancées : comment l’assistant médical ouvre le champ

Les pratiques avancées en soins de premier recours recouvrent l’extension de compétences, en général par délégation ou coopération, des professionnels de santé paramédicaux (infirmier(e)s en pratique avancée, IPA, pharmaciens, etc). Or, l’intégration des assistants médicaux au sein des équipes a activé plusieurs dynamiques :

  • Désaturation des agendas médicaux : Les médecins peuvent consacrer plus de temps à des consultations longues, complexes, à la coordination médico-sociale, à l’éducation thérapeutique ou à l’élargissement des plages de suivi (en particulier personnes âgées, maladies chroniques, santé mentale).
  • Facilitation des protocoles pluriprofessionnels : Les assistants soutiennent la coordination lors d’actions collectives (santé publique, dépistage, vaccination, ateliers d’éducation…) en facilitant la logistique, le lien avec les patients et les transmissions inter-professionnelles.
  • Ancrage dans les dispositifs territoriaux : Dans les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), le rôle des assistants médicaux est complémentaire de celui des coordinateurs : ils participent à la fluidité des parcours, à la diffusion d’informations (par exemple lors de campagnes de prévention) et à la collecte de données sanitaires locales.

Par exemple, dans l’Aube, des Maisons de Santé Pluridisciplinaires ayant recruté un assistant médical ont pu mettre en place des consultations IPA en diabétologie, car le travail amont sur le dossier médical, la préparation des synthèses et la planification des flux patients étaient fiabilisés (FemasIF).

Quelques situations concrètes : retours de terrain et évolutions constatées

  • Favoriser l’accessibilité des soins dans les zones sous-denses :
    • Dans la région Nouvelle-Aquitaine, certaines MSAP rurales ont pu maintenir voire élargir leur patientèle grâce à deux recrutements d’assistants médicaux, qui gèrent le flux administratif et technique. Cet allégement des tâches stimule la création de créneaux dédiés à la prévention (dépistages, vaccination : +25% sur 2 ans selon l’URPS Médecins Libéraux, 2022).
  • Soutien aux parcours pluriprofessionnels des malades chroniques :
    • En Île-de-France, les CPTS les plus avancées intègrent l’assistant médical comme référent de relais auprès des IPA en diabétologie ou en suivi d’insuffisance cardiaque. Il assure la préparation des synthèses et l’interface avec infirmière, diététicien(ne) voire assistante sociale.
  • Production de données locales et appui aux démarches qualité territoriales :
    • Certains assistants sont associés à des campagnes de recueil de données (par exemple, suivi vaccinal, questionnaires de satisfaction, observance thérapeutique), utile aux contrats locaux de santé.

Dans tous ces cas, plusieurs limites sont relevées, notamment sur la difficulté à recruter, la nécessité de formation continue, et les conditions d’intégration dans les collectifs (voir CNApSante, 2023).

Facteurs clés de réussite et conditions de déploiement

L’efficacité des assistants médicaux, et leur capacité à soutenir pratiques avancées et innovations, dépend de plusieurs paramètres :

  1. Clarté du référentiel d’activités : Un cadre d’intervention clair, partagé, adapté aux besoins de l’équipe. L’implication de l’ARS ou du GRADeS est souvent déterminante en phase de démarrage.
  2. Accompagnement managérial : L’intégration réussie suppose un soutien du coordinateur de structure, une formation (y compris sur les outils numériques et DMP) et un temps de retour collectif régulier.
  3. Articulation avec les projets territoriaux : Lorsque le projet d’équipe s’inscrit dans une dynamique de CPTS, MSP, ou Espace de Santé, l’assistant médical devient un acteur pivot pour fluidifier parcours et données.
  4. Équité territoriale : Le besoin de revalorisation du financement dans les zones très fragiles, encore peu dotées en assistants, demeure prégnant (source : CNAM, 2023 ; Sénat, Rapport d’information n°847).

Perspectives et zones d’évolution : au-delà du soutien administratif

L’expérience des quatre premières années montre que le modèle d’assistant médical évolue. Dans certains territoires, la perspective va au-delà de la simple délégation de tâches techniques ou administratives : des expériences pilotes testent l’extension de leur rôle à l’animation de groupes de patients, le soutien à la télémédecine, ou la formation à des actes techniques simples sous supervision.

  • Des régions testent la mutualisation d’assistants à l’échelle de groupes de cabinets ou via des groupements d’employeurs (GRAHN, 2022).
  • D’autres structures (Maison de Santé de l’Est Lyonnais, MSP de Lille-Métropole) définissent le poste « assistant médical référent », chargé de la formation interne, de la coordination logistique de consultations avancées, ou de la supervision de la collecte de données pour les indicateurs de qualité.

Ce mouvement s’inscrit dans le renforcement des pratiques avancées : il autorise la spécialisation partielle des assistants selon les besoins du territoire (pédiatrie, santé mentale, suivi gériatrique…). Il pousse les équipes à se réinterroger sur les modalités de décentralisation et d’autonomisation nécessaires pour affronter la complexité croissante du premier recours sur des territoires toujours plus hétérogènes.

Un modèle en construction, entre adaptation locale et montée en compétences

L’irruption des assistants médicaux a incontestablement provoqué un changement d’échelle dans l’organisation des soins de premier recours. En allégeant la charge des médecins, en participant activement à la structuration territoriale de l’offre, en accompagnant le développement des pratiques avancées, leur rôle s’affine, se précise – tout en révélant de nouveaux besoins sociaux, organisationnels, et de formation.

La dynamique reste fragile : coûts, formation, hétérogénéité d’implantation, acceptabilité par toutes les professions. Mais les premiers retours de terrain et analyses mettent en évidence une réalité que les politiques publiques et les acteurs territoriaux gagneraient à accompagner davantage : l’assistant médical, plus qu’un « agent » supplémentaire, est un pivot silencieux des transitions organisationnelles requises pour que le système de santé français reste accessible et pertinent, y compris dans des territoires vulnérables.

À moyen terme, l’enjeu sera donc d’adapter encore le modèle, de soutenir sa diffusion dans les zones les plus fragiles, et d’aller vers une reconnaissance accrue de la fonction, en articulation fine avec la montée en puissance des pratiques avancées paramédicales – pour une médecine de premier recours robuste, collaborative, et réellement territorialisée.