Nouveaux visages de la coordination : l’apport des infirmiers en pratique avancée dans les soins de proximité

14 octobre 2025

Redéfinir les contours du premier recours : pourquoi les IPA sont devenus essentiels

Depuis la reconnaissance officielle du métier d’infirmier en pratique avancée (IPA) en 2018, le paysage du soin de premier recours connaît une évolution significative en France. Conçue pour répondre à la montée en charge des maladies chroniques, à la pression sur la démographie médicale et à la nécessité de renforcer la coordination entre professionnels, la pratique avancée pour les infirmiers se positionne d’emblée comme un catalyseur d’innovation organisationnelle.

Quatre domaines sont actuellement ouverts à la pratique avancée en soins primaires : pathologies chroniques stabilisées, oncologie et hémato-oncologie, maladie rénale chronique et psychiatrie. En 2023, un peu plus de 3400 infirmiers étaient engagés dans ce cursus ou déjà diplômés (source : Ministère de la Santé, rapport d’activité 2023). Le mouvement reste minoritaire, mais la dynamique est désormais installée : la FNIPA estimait qu’en 2024, 250 nouveaux diplômés rejoindraient les équipes chaque année.

Un positionnement clinique : quelles missions pour les IPA en soins de premier recours ?

Les IPA déploient leurs compétences à cheval entre les prérogatives traditionnelles de l’infirmier et celles du médecin généraliste. Encadrés par un protocole d’organisation locale, ils agissent souvent au sein de structures pluriprofessionnelles telles que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les centres de santé ou les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS).

  • Évaluation clinique approfondie : Capacité à mener des consultations d’évaluation approfondie, orientation des patients chroniques, suivi des bilans biologiques, ajustement de traitements dans un cadre protocolaire.
  • Coordination et orientation : Identification précoce de situations complexes, organisation du parcours en lien avec les médecins traitants, mise en relation avec les travailleurs sociaux le cas échéant.
  • Éducation thérapeutique : Animation d’ateliers d’éducation à la santé, accompagnement à l’autonomisation des patients sur la gestion quotidienne de leur pathologie.
  • Développement des coopérations pluriprofessionnelles : Participation à la rédaction de protocoles locaux, implication dans la formation interne et le retour d’expérience partagé au sein de l’équipe.

Le spectre d’intervention des IPA est principalement encadré par un binôme avec le médecin, qui reste le pivot de la prise en charge, mais leur autonomie opérationnelle évolue au fil des collaborations locales (Haute Autorité de Santé, rapport « Premiers enseignements du déploiement des IPA », 2022).

Une organisation au service des territoires : exemples de dynamique locale

Les initiatives d’intégration des IPA varient d’un territoire à l’autre. Différents facteurs, comme l’appui institutionnel, l’adhésion des médecins et la culture de coopération, conditionnent leur implication réelle dans l’organisation des soins.

1. Une réponse adaptée aux territoires sous tension

  • Dans le Loiret, au sein d’une CPTS rurale couvrant plus de 50 000 habitants, l’arrivée d’une IPA en 2021 a permis de tripler le nombre de suivis éducatifs pour des patients diabétiques complexes, réduisant ainsi le délai d’accès au médecin traitant de 15 jours à 5 jours sur ce segment spécifique (Source : URPS Infirmiers Centre-Val de Loire).
  • En Seine-Saint-Denis, la maison de santé pluriprofessionnelle de Clichy-sous-Bois a documenté que l’activité de l’IPA auprès d’un public de jeunes adultes vivant avec des troubles psychiatriques a abouti à une baisse de 40% du recours aux passages aux urgences pour crise non suicidaire (source : Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé, Panorama 2023).

2. Les IPA comme leviers d’innovation organisationnelle

  • De nombreuses équipes MSP exploitent la présence des IPA pour repenser la répartition des rôles lors des consultations longues, par exemple en mettant en place des « journées thématiques » centrées sur l’éducation thérapeutique, dont l’animation est désormais assurée par les IPA (Source : Rapport IGAS, Organisation des soins de premier recours, 2023).
  • À Bordeaux, une expérimentation menée au sein du réseau santé de quartier a permis à l’IPA d’assurer le premier filtrage des demandes de renouvellements d’ordonnance, avec un taux de satisfaction patient supérieur à 90% (étude CHU Bordeaux et URPS Nouvelle-Aquitaine, 2022).

L’intégration des IPA dans les territoires à faible densité médicale constitue un levier supplémentaire pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins. Selon l’ARS Bourgogne-Franche-Comté, la présence d’IPA dans les territoires « fragiles » permet de maintenir un niveau d’activité préventive là où les médecins généralistes ne peuvent plus absorber la demande.

Enjeux de déploiement : freins persistants et perspectives de montée en puissance

Malgré leur potentiel clairement identifié, les IPA rencontrent encore plusieurs freins à un déploiement massif :

  • Reconnaissance juridique limitée : leur accès au paiement direct par l’Assurance Maladie ne couvre pas l’ensemble de leurs missions ni l’étendue de leur expertise.
  • Implication médicale hétérogène : certains territoires peinent à organiser une collaboration fluide entre médecins et IPA, questionnant la répartition effective de l’autonomie.
  • Lisibilité de l’offre pour les patients : encore faible. Selon une enquête menée par l’Ordre National des Infirmiers en 2023, seuls 34% des patients ayant bénéficié d’une prise en charge par un IPA se déclaraient réellement informés de la spécificité de cette fonction.
  • Formation académique récente : les universités adaptent progressivement leurs maquettes pour mieux intégrer la dimension territoriale du métier.

Face à ces défis, des perspectives s’ouvrent. Fin 2023, la nouvelle loi de financement de la Sécurité Sociale a étendu expérimentalement certaines prérogatives : prescription élargie, prise en charge accrue pour les patients en affection de longue durée. Certaines régions, comme l’Occitanie, expérimentent déjà des campagnes locales de communication pour mieux valoriser la fonction IPA.

Valorisation de la coordination pluriprofessionnelle : retours d’acteurs de terrain

Les retours d’expérience, qu’ils proviennent de médecins généralistes, d’infirmiers de terrain ou de coordinations de CPTS, confirment que l’apport des IPA dépasse le seul bénéfice médical direct. Plusieurs points reviennent de façon récurrente :

  1. Soulagement de la charge de travail médicale : une meilleure répartition des tâches, notamment lors de la prise en charge de pathologies chroniques stables.
  2. Amélioration de la continuité du suivi : le patient est mieux accompagné dans la durée, en particulier dans les situations de vulnérabilité sociale ou de polypathologies.
  3. Effet d’entraînement sur la culture du travail collectif : l’intégration d’un IPA incite souvent à renouveler les réunions de concertation et à dynamiser la formation croisée des professionnels.

Un médecin généraliste dans l’Yonne, interrogé lors d’une journée territoriale organisée par l’ARS, soulignait : « J’ai découvert combien l’investissement de l’IPA allège la clinique, mais aussi permet d’accélérer l’élaboration de protocoles communs pour les situations complexes ». Les retours des patients, recueillis via les premières évaluations de satisfaction INCa 2022, font aussi état d’un sentiment de meilleur accompagnement dans le parcours de soin.

Vers une plus grande autonomie territoriale ?

Le modèle français demeure pour l’instant balisé par une logique de protocole et d’encadrement, mais les tendances internationales placent les IPA au cœur de dispositifs de soins primaires plus autonomes. Au Royaume-Uni, l’Australie ou le Canada, les nurse practitioners gèrent déjà des cabinets ou des volets entiers de la prévention, avec des compétences élargies en matière de prescription, de diagnostic et de suivi (World Health Organization, State of the World’s Nursing, 2020).

L’enjeu des prochaines années sera de trouver l’équilibre entre sécurisation de l’exercice, montée en compétences territoriale et créativité organisationnelle. Si les paramètres économiques et réglementaires doivent encore s’ajuster, le mouvement engagé par les IPA est désormais clairement lisible : il s’agit d’une transformation en profondeur de l’organisation du premier recours, conjuguant proximite, innovation pragmatique et réelles perspectives pour les territoires.