Les missions émergentes des pharmaciens en pratiques avancées dans les soins de proximité

19 octobre 2025

La pratique avancée du pharmacien : un cadre désormais posé

La “pratique avancée” pour les pharmaciens a été consacrée par la loi de modernisation de notre système de santé (2016), mais a réellement pris consistance avec le décret du 12 août 2022. Elle désigne un exercice professionnel comportant des actes, des techniques et des missions complémentaires à l’officine classique, s’inscrivant dans un parcours coordonné, principalement en ville. L’objectif : renforcer l’accès aux soins primaires, libérer du temps médical, améliorer le suivi des patients chroniques, et innover dans le maillage de proximité.

  • Plus de 21 000 pharmaciens d’officine exercent actuellement en France (source : Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, 2023), soit environ 55 000 pharmacies, dont une majorité rurale ou semi-rurale dans des zones où les médecins se raréfient.
  • La France rejoint les expériences pilotes déjà en œuvre au Royaume-Uni (“pharmacist independent prescribers”) ou au Canada (“pharmacist practitioners”), montrant qu’il existe des marges de progression substantielles dans le partage de compétences.

Des missions élargies, des exemples concrets sur le terrain

Un spectre d’intervention renouvelé

La pratique avancée du pharmacien ne se limite pas à la dispensation. Les textes français autorisent depuis 2022 l’accès à :

  • Révision et adaptation des traitements sur prescription médicale initiale (notamment ajustements posologiques pour certaines pathologies chroniques, en collaboration avec le prescripteur)
  • Renouvellement des traitements pour maladies chroniques stabilisées, selon un protocole écrit
  • Vaccinations élargies : la campagne contre la grippe 2023-2024 a vu les pharmaciens participer à près de 30% des injections réalisées en France (source : Assurance Maladie, 2024)
  • Dépistages et prévention (hypertension, diabète, VIH, cancers colorectal – dans le cadre d’expérimentations), actions de repérage précoce et de conseil individuel
  • Bilan de médication pour des patients sous traitements complexes (polymédication des plus de 65 ans notamment), rôle renforcé dans la conciliation médicamenteuse lors d’entrées et sorties d’hospitalisation

Le déploiement de ces missions dépend de la dynamique territoriale et, souvent, de l’impulsion de groupes pluriprofessionnels comme les CPTS ou les MSP.

Des exemples parlants issus de territoires variés

  • Dans le Pas-de-Calais, des pharmaciens de la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) “Pays de Saint-Omer” collaborent depuis 2023 avec médecins généralistes et IDE pour proposer des rendez-vous de suivi en officine après des hospitalisations, diminuant significativement les réhospitalisations (source : ARS Hauts-de-France).
  • En Bretagne, le projet “Pharmavance” embarque 25 pharmacies volontaires pour assurer le suivi de patients diabétiques de type 2, avec des ajustements thérapeutiques validés par le médecin traitant. Les premiers retours montrent une meilleure adhésion au traitement et moins de ruptures de suivi (source : URPS Pharmaciens Bretagne).

Une articulation en évolution avec les autres professionnels

Complémentarité, pas substitution

Une inquiétude revient régulièrement du côté des professionnels de santé : la crainte d’un transfert de tâches “par défaut” plutôt que par logique de parcours. Or, la pratique avancée du pharmacien s’inscrit dans un modèle de coopération, non en substitution.

  • Les protocoles locaux (ex. : protocoles “organisationnels” de coopération) exigent une validation par toutes les parties, structurent la communication et la collecte d’informations cliniques.
  • L’interopérabilité informatique reste un défi fort : souvent, le pharmacien ne peut accéder qu’en consultation au dossier médical partagé, avec une marge de contribution progressive.
  • La reconnaissance financière des actes réalisés demeure hétérogène. Une expérimentation menée dans le département de la Drôme a montré que la rémunération des actes de renouvellement de traitements en officine augmente le taux d’adhésion des patients, mais que l’absence de forfait spécifique freine leur diffusion (source : URPS Auvergne-Rhône-Alpes, 2023).

Des précautions et des conditions pour réussir l’intégration

  1. L’accompagnement à la montée en compétences : la pratique avancée nécessite une formation ad hoc (certificat universitaire ou diplôme interuniversitaire en pratique avancée). En 2024, seules quelques centaines de pharmaciens étaient formés (Université de Montpellier, Université de Paris Cité… chiffre à retrouver sur le site de l’Ordre), ce qui limite pour l’instant le déploiement à grande échelle.
  2. L’engagement des équipes officinales et leur capacité à se réorganiser dans des locaux parfois contraints.
  3. L’acceptabilité du changement côté médecins, usagers et autres professionnels paramédicaux : la réussite dépend de la qualité du dialogue territorial et des relations de confiance, plus que de la seule réglementation.
  4. Un cadre juridique et déontologique stabilisé, qui sécurise les pratiques pour tous (patient, professionnel, autorité s’assurant du respect des données personnelles, etc.).

Impact mesurable sur l’accès aux soins et la cohésion territoriale

Premiers effets chiffrés

  • Réduction des délais de prise en charge pour les renouvellements d’ordonnance : les données du département du Nord montrent un délai divisé par deux en zones sous-denses chez les patients pris en charge par des pharmaciens en pratique avancée (source : rapport ARS Hauts-de-France, 2023).
  • Diminution de la iatrogénie médicamenteuse : selon une étude pilote menée en 2022 dans l’Aube, le taux d’événements indésirables médicamenteux a été réduit de 20 % sur un an grâce à la révision de la stratégie thérapeutique par les pharmaciens (source : CHU de Reims).
  • Renforcement de la prévention vaccinale, en particulier dans les territoires à faible densité médicale.

Des bénéfices reconnus mais encore à généraliser

  • Une proximité logistique et relationnelle : dans 92 % des cas, les patients interrogés dans le cadre du baromètre “Santé et Territoires” (mai 2024) perçoivent leur pharmacien comme un professionnel accessible et à l’écoute, en particulier dans les petites communes.
  • Effet sur les inégalités d’accès : là où la présence médicale baisse, le maintien d’acteurs de soin de proximité comme les pharmaciens en pratiques avancées contribue à éviter des ruptures de parcours, en particulier pour les personnes âgées ou en situation de handicap.
  • Rôle renforcé dans l’éducation thérapeutique à travers des ateliers et entretiens individuels, en partenariat avec des associations de patients (exemple : programme “Mon Cœur Ma Santé” dans le Gers – source : URPS Pharmaciens Occitanie).

Les défis à surmonter pour la pérennité et le déploiement

Perspectives d’avenir et besoins identifiés

  • Une massification nécessaire de la formation : la reconnaissance institutionnelle progresse, mais le nombre de pharmaciens en pratique avancée demeure embryonnaire. Au Royaume-Uni, près de 10 000 pharmaciens disposent du statut de “prescriber”, contre moins de 400 en France fin 2023 (source : Royal Pharmaceutical Society, CNOP).
  • L’harmonisation des protocoles territoriaux afin de garantir la sécurité juridique et la lisibilité des circuits de communication.
  • L’accompagnement financier, à la hauteur des actes effectués pour permettre une montée en charge sans déstabiliser l’économie des structures officinales.
  • Une meilleure articulation avec les CPTS et les dispositifs d’appui à la coordination, pour éviter que la pratique avancée ne soit un simple “ajout de tâches”, mais bien une brique structurante du parcours.

Les attentes autour des pharmaciens en pratiques avancées sont à la hauteur des défis démographiques et organisationnels auxquels se heurte le système de santé français – en particulier dans de nombreux territoires où l’accès aux soins de premier recours devient un enjeu critique. Mais les exemples de réussite, bien que localisés pour l’instant, confirment le potentiel de cette évolution pluriprofessionnelle.

À court et moyen terme, l’enjeu sera de dépasser l’expérimentation pour faire de la pratique avancée du pharmacien un levier structurant de la santé territoriale. Cela suppose d’accélérer la formation, de stabiliser les cadres de coopération, d’objectiver les résultats, et surtout, de continuer à faire vivre la dynamique locale, cette force motrice discrète mais essentielle à la transformation du système de santé.

Pour suivre les évolutions et les partages d’expériences, plusieurs ressources sont à consulter : Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, URPS Pharmaciens, Ministère de la Santé / DGOS.