Parcours de soins : quand les modèles d’organisation transforment la qualité des prises en charge

21 juin 2025

Une diversité de modèles d’organisation au service des patients

Au cours de la dernière décennie, la structuration du système de santé français a connu d’importants bouleversements. L’apparition et la généralisation de Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), Centres de santé intégrés, dispositifs d’appui à la coordination, ont profondément impacté la gestion des soins de premier recours. Cette mutation organisationnelle s’est accélérée dans un contexte de raréfaction démographique médicale, d’augmentation des maladies chroniques et d’exigence accrue de qualité.

Aujourd’hui, près de 28% des Français sont suivis dans une structure de soins coordonnés (source : DREES 2023). Les modèles d’organisation ne sont pas de simples arrangements administratifs : ils déterminent, très concrètement, l’expérience et la trajectoire des patients.

Qu’entend-on par “modèles d’organisation des soins” ?

La multitude de modèles poursuit un objectif commun : structurer l’offre de soins à l’échelle de territoires pour garantir une meilleure coordination, une plus grande efficience, et une proximité accrue entre professionnels et patients.

  • Cabinets isolés : modèle traditionnel, professionnel exerçant souvent seul.
  • Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) : regroupement organisé de professionnels de santé autour d’un projet commun, souvent contractualisé, favorisant la coordination interprofessionnelle.
  • Centres de santé : structures salariales, souvent intégrées à une collectivité ou à une association, assurant une prise en charge globale, souvent dans des zones sous-denses.
  • Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) : réseaux de professionnels, de structures de soins et de partenaires locaux à l’échelle d’un bassin de vie, qui partagent des missions de coordination, prévention et gestion des crises sanitaires.

Chaque modèle porte une vision différente du lien entre organisation interne, équipes et parcours patient.

Qualité des parcours de soins : quels déterminants ?

La qualité du parcours de soins désigne l’aptitude du système à offrir, pour chaque patient, un cheminement fluide, pertinent, sécurisé et coordonné entre les différents intervenants. Elle se mesure selon plusieurs critères, régulièrement précisés par la Haute Autorité de santé (HAS) :

  • Accessibilité : rapidité et facilité à obtenir le bon soin, au bon endroit.
  • Coordination : partage d’informations, absence de ruptures dans la prise en charge.
  • Orientation adéquate : évitement des retours en arrière, d’hospitalisations évitables, d’examens redondants.
  • Prise en compte de la personne : adaptation au contexte de vie du patient, à son autonomie.

En 2022, le rapport Charges & Produits de la CNAM soulignait que plus de 30% des hospitalisations “potentiellement évitables” étaient liées à un défaut de coordination entre intervenants libéraux et hospitaliers.

Coopération interprofessionnelle et structuration : des effets tangibles

Plusieurs expérimentations locales et études récentes montrent que le modèle d’organisation collectif a une incidence directe sur la fluidité du parcours.

  • Les MSP favorisent la gestion des maladies chroniques : Selon une étude menée en Bourgogne-Franche-Comté (URPS, 2021), l’implantation d’une MSP dans une commune est associée à une diminution de 9% des hospitalisations pour diabète mal équilibré sur cinq ans.
  • Mieux anticiper les ruptures de parcours : À Toulouse, le dispositif PAERPA a démontré qu’une coordination structurée permettait d’éviter 19% des admissions en urgence chez les plus de 75 ans (source : ARS Occitanie).
  • Des équipes pluriprofessionnelles pour la prévention : Les MSP et centres de santé affichent une proportion supérieure de dépistages (cancers, diabète) et de bilans de prévention que les cabinets isolés (source : DREES, 2022).

Ce constat ne relève pas uniquement de la quantité d’actes produits, mais aussi de la capacité à travailler collectif, à partager de l’information, à mettre en place des protocoles pluriprofessionnels et à intégrer de nouveaux métiers (coordinateur, assistant médical, infirmier de pratique avancée).

Quand les modèles collectifs structurent l’offre de proximité

Les CPTS, couvrant aujourd’hui plus de 80% du territoire français (Ministère de la Santé, octobre 2023), représentent une organisation territorialisée, agile et fédératrice. Leur impact repose sur trois registres majeurs :

  1. Orientation et accès aux soins non programmés : Les filières organisées via les CPTS ont permis, en Bretagne, de réduire de 12% les passages aux urgences pour soins non programmés (URPS ML Bretagne, 2023).
  2. Surveillance et gestion des crises sanitaires : Pendant la crise COVID-19, les CPTS ont assuré le relais local pour la vaccination de masse, organisant des files dédiées, mobilisant les ressources de ville et coordonnant les prises en charge pour les patients “orphelins” de médecin traitant (source : Santé Publique France).
  3. Initiatives de prévention populationnelle : Plusieurs CPTS ont testé des “bus prévention santé” itinérants, à destination des territoires ruraux éloignés, atteignant plus de 5600 personnes sur 12 mois dans le Grand Est (source : ARS Grand Est).

Les retours de terrain montrent que le modèle d’organisation collectif est particulièrement pertinent pour amortir les inégalités d’accès et fluidifier la prise en charge autour du patient. Il ne remplace pas l’exercice individuel mais complète l’offre en répondant à des enjeux plus systémiques.

Des conditions de réussite spécifiques à chaque modèle

Aucun modèle organisationnel n’est miraculeux en soi. Leur efficacité dépend de facteurs essentiels souvent sous-estimés :

  • La gouvernance et l’autonomie laissée aux équipes: Plus l’organisation favorise la prise de décision locale, la co-construction du projet, et l’engagement collectif, plus la qualité des parcours est élevée. Certains dispositifs reposant sur un pilotage trop descendant peinent à fidéliser les acteurs.
  • L’intégration des outils numériques adaptés : Le partage d’information est conditionné à une informatisation commune (dossier médical partagé, messageries sécurisées), encore inégalement déployée (en 2023, seulement 61% des MSP déclaraient un système d’information de coordination opérationnel, source : Fédération Française des MSP).
  • La formation et la ‘culture collaborative’ : Des freins culturels subsistent entre professionnels de disciplines différentes, et l’accompagnement au changement (formations interprofessionnelles, temps de coordination valorisés) est déterminant.

Certains territoires ruraux expérimentent aussi des modèles hybrides, mixant dispositifs collectifs et exercice individuel, poursuivant l’objectif de ne laisser aucun patient sans solution de proximité.

Parcours de soins : quand l’innovation organisationnelle fait la différence

Plusieurs initiatives locales illustrent la capacité d’adaptation des modèles d’organisation :

  • En Haute-Loire, une MSP a mis en place un protocole de suivi des patients sous anticoagulants, associant pharmacien, infirmier et médecin, grâce à des temps dédiés de concertation. Résultat : diminution de moitié des incidents d’iatrogénie médicamenteuse signalés en deux ans (source : URPS Auvergne-Rhône-Alpes).
  • Dans le Val-d’Oise, une CPTS a développé une plateforme télémédecine partagée entre médecins généralistes et spécialistes, traitant 430 dossiers complexes en moins de six mois, avec une satisfaction des patients supérieure à 90% (source : ARS Île-de-France).

D’autres territoires expérimentent de nouvelles modalités de dialogue (réunions interprofessionnelles, gestion de cas complexes “hors les murs”), qui favorisent une prise en charge globale, souple et réactive.

Entre modèles organisationnels et qualité, une équation dynamique

L’examen des impacts des modèles d’organisation sur la qualité des parcours de soins met en lumière plusieurs éléments :

  • Les modèles collectifs améliorent la continuité et la coordination, surtout pour les patients complexes ou éloignés de l’offre de soins.
  • L’articulation entre structures, la gouvernance locale et l’appropriation par les professionnels conditionnent la réussite.
  • La transformation organisationnelle ne se décrète pas : elle s’appuie sur des dynamiques de terrain, des outils partagés et une culture commune à renforcer.

L’enjeu des prochaines années sera probablement de tirer parti de cette diversité, en soutenant la montée en compétences et en interconnexion des dispositifs, afin que chaque patient puisse bénéficier d’un parcours fluide, personnalisé, et sécurisé, quel que soit son lieu de vie. Les expériences locales, parfois modestes mais souvent pionnières, continueront d’éclairer la voie d’un système de santé plus cohérent et plus humain.