Territoires en action : architecture et dynamiques de la coordination médicale locale

30 juillet 2025

Des contours multiples : définition et enjeux de la coordination territoriale

Coordonner, c’est organiser, articuler, rendre fluide : en santé, cela revient à assurer la continuité, l’accessibilité et la qualité du parcours, en évitant ruptures, redondances et pertes de chances. Les acteurs territoriaux de la coordination comprennent :

  • Les professionnels de soins primaires : médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes, sages-femmes, etc.
  • Les structures d’appui : maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), centres de santé, communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), etc.
  • Les acteurs médico-sociaux et sociaux
  • Les établissements hospitaliers de proximité

Chaque année, ce sont plus de 500 000 Français qui font l’expérience d’une rupture de parcours de santé (HAS, 2021), souvent préjudiciable à leur prise en charge. Dès lors, la coordination n’est ni un luxe ni un supplément d’âme : elle s’impose comme une réponse aux enjeux sociaux, économiques et humains de la santé locale.

Pilotage et structuration : quelles configurations ?

L’organisation de la coordination s’appuie sur une diversité de cadres, certains impulsés nationalement, d’autres nés de dynamiques locales. Trois piliers structurent actuellement l’architecture territoriale :

  • Les équipes de soins primaires : souvent informelles, elles regroupent des professionnels autour de la prise en charge partagée d'une patientèle.
  • Les structures coordonnées (MSP, centres de santé) : elles formalisent la coopération par le partage d'outils, de protocoles et de temps d’échanges.
  • Les dispositifs interprofessionnels à l’échelle du territoire : principalement les CPTS, mais aussi les dispositifs d’appui à la coordination (DAC), plateformes territoriales d’appui (PTA) et réseaux.

En 2023, on recensait 2 091 Maisons de santé pluriprofessionnelles et plus de 700 CPTS existantes ou en cours de création (Data.gouv.fr), couvrant plus de 70 % de la population. Un mouvement massif mais hétérogène, reflet de la maturité variée des démarches selon les territoires.

Outils et leviers de la coordination : du partage d’information à la construction de parcours

1. Communication et échanges : la “brique” fondamentale

Les dispositifs de coordination reposent en premier lieu sur la capacité à communiquer efficacement :

  • Staffs pluriprofessionnels, réunions cliniques de coordination
  • Utilisation du Dossier Médical Partagé (DMP) et de la messagerie sécurisée de santé (MSSanté)
  • Mise en place de protocoles écrits et d’outils de liaison (carnet de liaison, plans personnalisés de soins, etc.)

Selon le rapport annuel de la Cour des comptes (2022), plus de la moitié des médecins généralistes déclarent encore des difficultés à accéder à une information partagée fiable, signe que les outils techniques, pourtant massivement promus, n’ont pas totalement transformé les pratiques.

2. Protocolisation et partage de tâches

Le développement de protocoles pluriprofessionnels facilite l’organisation des soins et la délégation de certains actes. Dans les MSP, 64 % des structures déclaraient en 2022 mettre en œuvre au moins un protocole de coopération (source : Observatoire des maisons de santé, FFMPS).

  • Suivi de patients chroniques (ex : protocoles Asalée en diabétologie ou BPCO)
  • Délégation d’actes aux infirmiers ou pharmaciens, dans un cadre sécurisé
  • Suivi partagé de la prévention, du dépistage et de la gestion des fragilités

Ce partage structuré permet de fluidifier les enchaînements de soins tout en clarifiant les rôles.

3. Ingénierie de parcours et dispositifs d’appui

Dans les situations complexes (perte d’autonomie, maladies chroniques, précarités), la coordination s’appuie de plus en plus souvent sur des médiateurs ou coordonnateurs de parcours (ex : infirmière coordinatrice en “Parcours éducatif patient diabète”, assistants sociaux, case managers pour les personnes âgées, etc.).

  • Le rôle des DAC (Dispositifs d’Appui à la Coordination) s’est renforcé avec la loi Ma Santé 2022 : plus de 90 DAC sont en fonctionnement en France, gérant chaque année plus de 700 000 orientations (source : Santé Publique France, 2023).
  • Ces dispositifs visent à « ne jamais laisser un professionnel seul dans une situation complexe ». Ils jouent un rôle d’interface, d’orientation et de soutien, tant pour les patients que pour les professionnels.

La coordination, facteur d’innovation et d’engagement local

La richesse des pratiques territoriales tient beaucoup à l’inventivité des acteurs. Plusieurs exemples illustrent la fertilité de ce terrain :

  • En Centre-Val de Loire, la CPTS Touraine Vallée de l’Indre a organisé un réseau d’intervention paramédicale rapide pour les soins non programmés, réduisant de 22 % le recours à l’hospitalisation non justifiée en un an (source : ARS Centre-Val de Loire).
  • À Lille, une MSP pilote un circuit court d’orientation pour les patients en situation de précarité : un coordinateur social facilite la prise en charge médico-sociale et l’accès aux droits. Le taux de non-recours aux soins a diminué de près de 30 % en deux ans.
  • Dans les Pyrénées, des kinés et médecins mutualisent leurs plannings via une plateforme numérique sécurisée pour optimiser les prises en charge de traumatismes sportifs saisonniers, ajustant l’offre à la fréquentation touristique.

Ces initiatives montrent que la coordination ne relève pas du simple bon sens ou de l’alignement institutionnel, mais s’invente chaque jour, au plus près des besoins.

Obstacles persistants et leviers sous-exploités

Les dynamiques de coordination se heurtent toutefois à plusieurs écueils majeurs :

  • Barrières techniques et informatiques : suspicion autour du partage des données, fragmentation des logiciels, complexité d’usage (voir le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, IGAS, octobre 2022).
  • Temps médical “hors soins” insuffisamment reconnu : la valorisation financière du temps consacré à la coordination est encore lacunaire, malgré des avancées récentes dans l’avenant 9 de la convention médicale (Ameli.fr).
  • Imprécisions autour du partage de responsabilité : la crainte de “perdre la main” ou de générer des contentieux freine parfois la délégation et le travail partagé.
  • Culture de la coordination encore inégale : si certains territoires font figure de pionniers, d’autres peinent à dépasser les logiques de cloisonnement historique.

Malgré ces défis, certaines avancées sont notables : développement d’outils interopérables (projet Infrastructures Numériques Nationales de Santé), financements incitatifs (“forfaits coordination”), et montée en compétence des acteurs grâce à la formation à la coopération interprofessionnelle (voir les travaux de la HAS sur les compétences douces).

Perspectives : quelles évolutions pour la coordination territoriale ?

La coordination territoriale des professionnels de santé a évolué en profondeur en dix ans, passant d’initiatives ponctuelles à un maillage quasi systématique du territoire. Ses prochaines mutations pourraient s’orienter vers :

  • Une généralisation des postes de coordination, intégrés dans les équipes, grâce à des nouveaux métiers hybrides (infirmières de pratique avancée, assistants médicaux dédiés à la navigation de parcours…)
  • L’implication croissante des patients dans la définition et l’évaluation de leur propre parcours, sous l’impulsion d’associations et de démarches de démocratie sanitaire
  • L’intégration accrue des outils numériques : téléconsultation concertée, intelligence artificielle d’aide à l’orientation, plateformes territoriales d’adressage
  • La coordination avec le secteur social et médico-social, indispensable face au vieillissement, aux inégalités et à la précarisation croissante de certaines populations

Chaque territoire expérimente, adapte, réinvente. La coordination entre professionnels de santé, loin d’être un objectif abstrait, se vit et s’incarne dans ces multiples agencements, reliant au quotidien les acteurs autour d’une ambition : garantir à chaque personne un parcours de soins lisible, réactif, cohérent. Les défis persistent, mais la dynamique engagée par les territoires continue d’ouvrir de nouvelles voies pour la santé de demain.