Parcours de soins de premier recours : logiques, acteurs et enjeux à l’échelle des territoires

14 juillet 2025

Appréhender le parcours de soins de premier recours : une dynamique territoriale plurielle

Le parcours de soins de premier recours fait référence à l’ensemble des démarches, professionnels et dispositifs impliqués dès l’apparition d’un besoin de santé jusqu’à son éventuelle orientation vers des soins spécialisés. Ce cheminement s’appuie aujourd’hui sur une logique territoriale solidement ancrée : les enjeux de démographie médicale, la diversité des besoins locaux et l’apparition de nouvelles formes d’organisation invitent à repenser constamment son organisation. En 2022, près de 85 % des français déclaraient avoir un médecin traitant, signalant leur confiance dans cette porte d’entrée (Baromètre santé, Santé Publique France).

Le parcours de soins en actes : quelles étapes clés sur le territoire ?

Les trajectoires de prise en charge en soins de premier recours s’appuient généralement sur une séquence bien identifiée :

  • Repérage du besoin : Survenue d’un symptôme, demande de renouvellement ou démarche de prévention.
  • Premier contact avec un professionnel : Médecin généraliste, infirmier, pharmacien ou sage-femme selon la nature des besoins et l’accessibilité des ressources locales.
  • Consultation et évaluation : Recueil du motif, examen clinique, pose d’un diagnostic le cas échéant.
  • Mise en place d’un plan de soins : Possible prescription de traitement, examens complémentaires ou recours à d’autres acteurs.
  • Suivi et coordination : Suivi de l’évolution, renouvellements éventuels, orientation vers des spécialistes si besoin.
  • Accompagnement et soutien : Pour les patients complexes, mobilisation de dispositifs d’appui ou d’aide sociale.

Ces étapes se déploient de façon dynamique selon les contextes territoriaux, la densité de l’offre ou la présence de dispositifs de coordination.

Médecin généraliste : pivot et boussole du parcours

Longtemps identifié comme l’unique portier du système, le médecin généraliste demeure aujourd’hui le chef d’orchestre du parcours, bien que son rôle évolue. Deux chiffres illustrent son importance : 92 % des consultations en ville concernent encore la médecine générale, et 8 personnes sur 10 ayant effectué un acte de prévention en ont bénéficié via leur médecin traitant (Source : Drees, 2023). Au fil des années, ses missions se sont élargies :

  • Prévention, repérage précoce, dépistage
  • Coordination des soins, prescriptions et orientations
  • Gestion de la continuité du suivi pour les maladies chroniques ou affections de longue durée (ALD)
  • Garantie de l’accès aux dispositifs de recours (avis spécialisés, hospitalisation à domicile, réseaux d’appui)

Dans de nombreux territoires, le médecin généraliste se fait aussi « sentinelle » des déterminants sociaux de santé, partenaire des dispositifs territoriaux (CPTS, MSP, réseaux) et animateur de parcours complexes. Ce rôle stratégique se heurte néanmoins à une pression croissante : baisse de la démographie médicale (-6,5 % de généralistes de 2012 à 2023, Drees), multiplicité des tâches, inégalités territoriales et attentes accrues des patients.

Infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens : relais indispensables en proximité

Si le médecin traite, les paramédicaux accompagnent, soutiennent, surveillent, enseignent l’autonomie. Depuis la loi Santé de 2009, les possibilités d’exercice coordonné et d’élargissement des compétences paramédicales se sont multipliées. Quelques exemples illustratifs :

  • Infirmiers libéraux : 129 000 infirmiers exercent en libéral (Drees, 2023), avec des missions qui dépassent le simple acte technique : bilans de soins, surveillance à domicile, organisation de sorties hospitalières, prise en charge de patients polypathologiques, démarches d’éducation thérapeutique, coordination avec le médecin et le pharmacien.
  • Professionnels de rééducation (kinésithérapeutes, ergothérapeutes…) participent au maintien à domicile, à la prévention de la perte d’autonomie, et à l’accompagnement des suites d’accidents ou de maladies chroniques.
  • Pharmaciens d’officine jouent un rôle nouveau dans l’accompagnement des patients chroniques (bilan partagé de médication, entretiens pharmaceutiques), la prévention (vaccination anti-grippale), la gestion des ruptures de médicaments ou encore l’orientation vers d’autres professionnels.

L’expérimentation de la pratique avancée infirmière, ou la vaccination par les infirmiers et pharmaciens, traduisent la montée en puissance de ces métiers dans la dynamique locale du parcours.

Coordonner les acteurs du territoire : dispositifs et dynamiques concrètes

La multiplication des acteurs implique une nécessité croissante de coordination, pour éviter ruptures ou doublons dans le parcours. Plusieurs structures territorialement ancrées visent à organiser ces coopérations :

  • CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) : Déjà plus de 700 initiatives couvrant près de 70 % du territoire (Ministère de la santé, janvier 2024). Ces collectifs structurent la réponse locale : gestion des soins non programmés, protocoles de coopération, prévention partagée, liens avec établissements sociaux et médico-sociaux.
  • Maisons et Centres de Santé pluriprofessionnels : Plus de 2000 regroupements où médecins, infirmiers, paramédicaux, assistants sociaux créent des équipes locales de soins coordonnées (FemasAURA). Ils favorisent l’attractivité des territoires, la continuité du suivi et l’innovation organisationnelle (protocoles, délégations de tâches…)
  • Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC) : Présents sur tout le territoire depuis 2022, ils offrent une ressource précieuse pour les situations complexes : articulation inter-sectorielle, intervention de l’aide sociale, relais avec les acteurs du domicile.

La dynamique de parcours territorial s’appuie également sur le rôle accru des coordinations interprofessionnelles : infirmier « coordinateur », assistants sociaux référents, référents de parcours pour publics spécifiques (handicap, âgés).

Favoriser l’orientation locale des patients : des outils multiples

Faciliter l’accès au bon interlocuteur au bon moment demeure un défi. Plusieurs dispositifs y contribuent :

  • Service d’Accès aux Soins (SAS) : Mis en place depuis 2021, il vise à offrir une réponse adaptée aux demandes non programmées, en toute heure, en lien avec le SAMU et les acteurs de ville. À terme, la généralisation doit permettre une meilleure fluidité d’orientation (expérimentations dans 22 territoires en 2023).
  • Permanence des soins ambulatoires (PDSA) : Réponse organisée hors horaires habituels, notamment dans les zones sous-dotées.
  • Plateformes territoriales d’appui, dispositifs locaux d’éducation à la santé, réseaux d’aide sociale : Autant de ressources pour repérer, accompagner et orienter selon la nature des besoins (parcours précarité, handicap, santé mentale…)

Numérique en santé : un levier de transformation territoriale

La « santé digitale » bouleverse l’organisation des soins de premier recours et leur pilotage territorial. Plusieurs innovations s’imposent progressivement :

  • Dossier Médical Partagé (DMP) : 18 millions de dossiers ouverts en 2023 (CNAM). Le DMP encourage une vision globale du parcours pour tous les intervenants autorisés, limitant les pertes d’informations et les redondances.
  • Télémédecine et télésoin : En 2023, plus de 10 millions d’actes de téléconsultation ont été réalisés (Assurance maladie). L’intervention à distance a amélioré l’accès dans certains déserts médicaux, optimisé le lien ville-hôpital, et permis des suivis réguliers là où l’offre locale est contrainte.
  • Applications de coordination : Logiciels partagés, messageries sécurisées, agenda connecté : autant de solutions mobilisées pour fluidifier les échanges, notamment dans les équipes pluriprofessionnelles (exemples : outils Asalee, e-Parcours, Omnidoc...)

Le numérique ne résout pas toutes les inégalités, mais abaisse certains obstacles organisationnels, notamment dans les territoires ruraux ou isolés.

Obstacles à la fluidité du parcours : diversité des réalités territoriales

Malgré les innovations, les difficultés persistent :

  • Démographie médicale inégale : 11 % de la population en 2024 vit dans une zone considérée comme sous-dotée en médecins généralistes (Observatoire de l’égalité d’accès aux soins, Ordre des médecins).
  • Difficulté de recrutement pour les structures coordonnatrices (MSP, CPTS…), due au manque d’attractivité ou aux freins statutaires.
  • Complexité administrative : Multiplication des dispositifs, lourdeur des démarches, manque de lisibilité pour certains patients.
  • Hétérogénéité numérique : 30 % des plus de 65 ans restent éloignés du numérique de santé (Insee 2023).
  • Fragmentation de la prise en charge mentale et sociale, particulièrement pour les publics vulnérables.

Les leviers locaux sont donc essentiels : dynamisation de l’offre, organisation de « guichets uniques », accompagnement vers les outils numériques.

Villes et campagnes : des parcours différents, des réponses d’ingéniosité

La place du premier recours varie selon la densité de professionnels et le tissu local :

  • En ville, la proximité des ressources permet une orientation rapide, mais la multiplicité d’acteurs rend parfois la coordination plus complexe. Les CPTS ont favorisé la création de filières thématiques (soins non programmés, prise en charge gériatrique ou addictions).
  • En zones rurales, la raréfaction médicale ralentit l’accès au médecin traitant (dans les Hautes-Alpes, un patient attend en moyenne 12 jours pour un rendez-vous, contre 6 en milieu urbain, baromètre IRDES 2023). Les équipes paramédicales y jouent un rôle vital, notamment dans le maintien à domicile et la permanence des soins.
  • Des solutions spécifiques émergent : bus de soins itinérants, protocoles de coopération déployant plus largement la compétence infirmière, développement de la télémédecine dans des MSP « connectées ».

Aidants : une ressource incontournable à intégrer dans le parcours

2 aidants sur 3 interviennent régulièrement dans le parcours de soins d’un proche (Baromètre Fondation April, 2022). Leur rôle :

  • Assurer le relai des traitements, rendez-vous, accompagnements
  • Transmettre des informations de suivi aux professionnels
  • Identifier la survenue de complications ou signaux faibles
  • Mobiliser l’offre sociale, l’aide à domicile, les dispositifs d’appui

Des initiatives se développent pour mieux les soutenir : plateformes territoriales d’information, programmes d’éducation thérapeutique à destination des proches, interventions coordonnées avec les professionnels référents. Sur certains territoires, l’intégration des aidants dans les réunions de coordination a montré des bénéfices en termes d’anticipation, de prévention des ruptures et de limitation des hospitalisations non programmées (étude RePaSo, CHU Toulouse, 2023).

Mesurer la performance : quels indicateurs pour évaluer le parcours territorial ?

Évaluer l’efficacité du parcours ne se limite plus à la logique de « ports d’entrée » ou d’accès au médecin traitant. Des indicateurs plus globaux s’imposent :

  • Accessibilité : Délai pour obtenir un rendez-vous, durée moyenne de passage dans les dispositifs de régulation, taux d’attribution de médecin traitant (93 % au niveau national en 2023, mais <85 % dans certaines zones rurales, source : rapport Cnam 2024)
  • Qualité perçue par les patients : Satisfaction, sentiment d’accompagnement et de compréhension du parcours
  • Sécurité et efficience : Nombre d’hospitalisations évitables, taux de réhospitalisation à 30 jours, part des actes réalisés en soins de ville versus hospitaliers
  • Coordination interprofessionnelle : Nombre de cas complexes accompagnés en équipe de soins primaires, participation aux réunions pluriprofessionnelles
  • Inclusion et équité : Accès pour les publics précaires, personnes en situation de handicap, proximité des lieux de soins

Diverses études régionales ou nationales accompagnent aujourd’hui ces démarches d’analyse, notamment via le Health Data Hub ou des projets pilotes menés par les ARS.

Entre expérimentations locales et défis communs

L’organisation du parcours de soins de premier recours est le résultat d’innovations territoriales, de compromis organisationnels, et d’adaptation continue aux réalités locales. Face à la montée des besoins, à la transition démographique et à la transformation numérique, les communautés professionnelles s’inventent, testent de nouveaux protocoles, intègrent peu à peu les aidants et ajustent les outils d’évaluation. Le décloisonnement, le partage de compétences et la consolidation des dispositifs de coordination constituent la colonne vertébrale de la dynamique territoriale en santé, au service d’un accès équitable et de qualité aux soins primaires, partout en France.