Outils de coordination en santé : panorama des leviers concrets sur les territoires

1 septembre 2025

De l’intention à la pratique : pourquoi la coordination sur les territoires compte-t-elle autant ?

La coordination entre professionnels de santé n’est pas un concept récent, mais sa nécessité s’est accentuée face à trois défis : la complexité croissante des parcours, les disparités territoriales d’accès aux soins, et l’évolution démographique des effectifs médicaux. Selon la DREES, 30% des généralistes déclaraient en 2022 rencontrer des obstacles quotidiens dans la coordination des soins (source : DREES, Études & Résultats, n° 1246).

La transcription, sur le terrain, du virage ambulatoire et des exigences d’efficience institutionnelle suppose que professionnels libéraux, hôpitaux, structures médico-sociales et acteurs du social coopèrent étroitement. À l’échelle des territoires, la coordination n’est donc plus seulement souhaitable, elle devient incontournable pour garantir la continuité des soins et une réponse adaptée aux attentes locales.

Messageries sécurisées et plateformes d’échanges : la révolution numérique des échanges cliniques

En première ligne des outils concrets vient la messagerie sécurisée de santé (MSSanté), déployée progressivement depuis 2013. En 2023, plus de 150 000 professionnels de santé s’en servent chaque mois (source : Agence du Numérique en Santé, chiffres 2023), facilitant ainsi un flux quotidien d’échanges d’informations cliniques, de comptes-rendus d’hospitalisation ou de demandes d’avis.

  • MSSanté : Sécurise l’échange d'informations médicales à l’échelle interprofessionnelle, aidant à respecter le RGPD et le secret médical.
  • Plateformes territoriales : Certaines Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) mutualisent des solutions type ou , conçues pour les échanges structurés entre praticiens du même territoire.

Selon une étude menée par la Fédération des Maisons de Santé en 2022, 70% des médecins exerçant en maison de santé pluridisciplinaire utilisaient régulièrement une messagerie sécurisée ou une plateforme collaborative, alors que ce chiffre tombe à 38% hors structures coordonnées.

Limites et points de vigilance

  • Diversité des outils selon les territoires, absence d’interopérabilité entre certaines solutions.
  • Faible appropriation des outils numériques chez 25% des soignants de plus de 55 ans (source : Conseil National de l’Ordre des Médecins, 2022).

Dossiers médicaux et systèmes d’information partagés : vers un langage commun des parcours

Le partage d’informations sur le patient est une brique essentielle de la coordination. Le Dossier Médical Partagé (DMP), promu par l’Assurance maladie, a connu une montée en puissance significative : plus de 13 millions de dossiers créés en 2023. Son usage reste toutefois variable selon les territoires et les professions.

  • DMP : Permet aux soignants autorisés d’accéder à l'historique médical, résultats d’examens, traitements en cours…
  • Logiciels métiers interopérables : Des projets locaux, comme l’expérimentation Sillage à Strasbourg ou MAIA dans le Morbihan, facilitent l'échange entre secteurs sanitaire, social et médico-social.
  • Répertoire opérationnel des ressources (ROR) : Met à disposition, à l’échelle régionale, l’offre disponible en temps réel pour soutenir l’orientation des patients et des professionnels.

Malgré la généralisation du numérique, près de 40% des échanges restent encore réalisés… par téléphone selon la CNAM (2023). Les habitudes de travail et des freins culturels expliquent en partie ce constat, d’où l’importance d’associer l’accompagnement au déploiement technique.

Espaces de concertation et dispositifs organisationnels : quand la coordination s’ancre dans le quotidien

Les espaces de concertation formalisés jouent un rôle déterminant dans l’acculturation et l’efficacité de la coordination. Leur montée en puissance, portée par des dispositifs type CPTS ou plateformes territoriales d’appui (PTA), se matérialise par des réunions pluriprofessionnelles, groupes-projets et parcours coordonnés.

  • Réunions de concertation pluridisciplinaires : En 2022, plus de 80% des unités de coordination en cancérologie ou gériatrie organisent des RCP territoriales mensuelles (source : INCa, Observatoire RCP 2022).
  • Cellules de coordination CPTS : Ces cellules réunissent médecins, IDE, pharmaciens, travailleurs sociaux pour clarifier le rôle de chacun, résoudre des cas complexes ou anticiper les ruptures de parcours.
  • PTA : Assurent un soutien opérationnel dans la gestion de cas complexes en ambulatoire. Selon une enquête d’Adexel (2023), 84% des professionnels ayant sollicité une PTA ont estimé que la démarche avait renforcé la coordination avec des structures hors soin (social, médico-social).

Nouveaux espaces hybrides : consultations avancées et expérimentations locales

Certains territoires vont plus loin, comme à Saint-Quentin-en-Yvelines, où des équipes mobiles pluriprofessionnelles interviennent à domicile pour les situations complexes. Le projet « Un chez-soi d’abord » à Lille a, de son côté, mis en place une gouvernance partagée entre médecins, psychiatres, éducateurs et pair-aidants, avec une réunion de coordination hebdomadaire et échanges synchrones via outil numérique sécurisé.

Supports communs, protocoles et démarches qualité : construire un langage partagé

La coordination gagne en efficacité quand chaque acteur s’appuie sur des outils documentaires partagés : protocoles, annuaires dynamiques, fiches de liaison ou plans personnalisés de santé. Ces supports, simples mais structurants, permettent de rendre visible ce qui fonde la coopération.

Outil Fonction Exemple de territoire
Annuaire santé partagé Identifier en temps réel l’ensemble des ressources et intervenants locaux Sambre-Avesnois
Protocoles plurirationnels Partager les étapes-clés du suivi de pathologies chroniques (ex : diabète, BPCO) Terres de Lorraine
Plan personnalisé de coordination (PPC) Définir avec le patient et les intervenants les objectifs, actions, responsables Bordeaux Métropole

Le succès de ces outils dépend de leur appropriation collective. Dans les CPTS du Val-de-Marne, la formalisation de protocoles d’urgence simples (ex : suspicion AVC) a permis une réduction de 12% du délai entre la suspicion et l’appel du 15 sur une année, selon un audit interne mené en 2023.

Retours d’expérience et valorisation des initiatives locales : un levier d’apprentissage collectif

Au-delà des outils techniques, la dynamique de coordination prend racine dans le partage d’expériences et la valorisation des solutions nées des besoins du terrain. Les Ateliers territoriaux de santé, initiés par certaines ARS, ou encore le dispositif « Retours d’expérience en équipe », permettent à des équipes de santé d’analyser ensemble des situations traversant plusieurs structures, de réfléchir à leurs pratiques et de réajuster les organisations.

  • Selon l’ARS Nouvelle-Aquitaine, près de 50 ateliers de ce type avaient été organisés sur la région entre 2021 et 2023, impliquant plus de 300 professionnels de santé différents.
  • Ces retours d’expériences débouchent, dans 30% des cas, sur l’adaptation d’un protocole ou la création d’un nouvel outil partagé (donnée issue d’un rapport ARS NA 2023).

Outre la valeur formatrice de ces démarches, elles agissent comme un catalyseur d’innovation locale et réduisent les phénomènes d’isolement professionnel, particulièrement ressentis dans les zones à faible densité médicale.

Les défis à venir : interopérabilité des systèmes, simplification et culture commune

La coordination efficace suppose encore des progrès. Trois défis majeurs se dessinent :

  • Interopérabilité technique : L’intégration fluide des différents SI reste inégale (source : Health Data Hub, rapport 2023). Des chantiers pilotes sont en cours dans plusieurs régions, pour relier les logiciels des CPTS, des établissements et des cabinets de ville.
  • Simplification de l’offre d’outils : Le foisonnement de solutions locales nuit parfois à la lisibilité. Plusieurs ARS, dont l’Île-de-France, œuvrent à une mutualisation graduelle des outils pertinents.
  • Développement d’une culture du « travailler ensemble » : Selon le CNOM (2022), 60% des jeunes médecins souhaitent des formations dédiées à la coordination interprofessionnelle dès la faculté.

Au fil des expérimentations et de l’adaptation au contexte local, la coordination s’affirme comme une compétence centrale, renforcée à la fois par la formalisation d’outils et la capacité à co-construire des réponses adaptées.

Quelques repères pour aller plus loin

  • Agence du Numérique en Santé : https://esante.gouv.fr/
  • Observatoire régional des CPTS (par ARS)
  • DREES : Études & Résultats sur la coordination en ville
  • Institut national du cancer – Observatoire des RCP
  • Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS)

L’observation des dynamiques réelles, l’analyse fine des besoins locaux et le partage d’expériences fructueuses resteront les moteurs d’une coordination utile et durable. C’est à cette condition que les outils – qu’ils soient numériques, organisationnels ou informels – consolideront leur rôle de catalyseurs pour les professionnels de santé engagés, partout sur les territoires.