Reconnaître et intégrer les aidants : vers une nouvelle dynamique des parcours de soins de proximité

21 août 2025

De l’invisibilité à la reconnaissance progressive des aidants

Selon une estimation de la DREES (2023), la France compte près de 9 millions d’aidants, dont plus de la moitié interviennent au moins une fois par semaine pour accompagner une personne en perte d’autonomie (source). Longtemps considérés à la marge des systèmes de santé, les aidants évoluent désormais dans un contexte où la plupart des politiques publiques de santé reconnaissent leur rôle, sans que leur place ne soit systématiquement structurée dans les organisations territoriales, en particulier dans le champ des soins de premier recours.

L’aidant, qu’il soit familial, ami, voisin ou collègue, intervient aujourd’hui dans la gestion quotidienne des traitements, la coordination entre professionnels, l’accompagnement lors des consultations, et parfois les soins directs. La Stratégie nationale Agir pour les aidants, lancée en 2019, a facilité la prise de conscience collective. Pourtant, sur le terrain, leur intégration réelle aux parcours reste encore disparate selon les territoires et dépend fortement de dynamiques locales.

Des besoins identifiés, des réalités hétérogènes

Les études convergent : la participation active des aidants améliore l’adhésion aux traitements, réduit les hospitalisations évitables (HCFEA 2021), et facilite la coordination des acteurs de santé dans la coordination des soins. Cependant, leur articulation avec la médecine de ville, les acteurs paramédicaux et sociaux demeure inégale ; les outils et parcours formalisés restent minoritaires dans la plupart des CPTS et maisons de santé pluriprofessionnelles.

  • Trois quarts des aidants reconnaissent manquer d’informations sur leurs droits et sur les dispositifs existants selon le Baromètre Fondation April 2023.
  • Près d’un aidant sur deux avoue sacrifier sa santé ou son suivi médical par faute de temps ou par crainte de se mettre en avant dans la relation soignant/aidé (CNSA, 2022).
  • Seulement 24 % des généralistes déclarent repérer systématiquement les aidants de leurs patients âgés ou chroniques (enquête URPS Médecins Libéraux IDF, 2021).

Ces données traduisent un besoin d’outiller les professionnels et les collectifs territoriaux pour concrétiser la place des aidants comme partenaires du soin.

Aidants et parcours de soins : quelles pratiques et innovations territoriales ?

Initiatives locales d’intégration des aidants

Certaines expérimentations dessinent des pistes concrètes pour l’intégration des aidants dans les soins primaires à l’échelon territorial :

  • Le repérage et l’accompagnement : la CPTS du Grand Dax (Landes) a mis en place des entretiens systématiques réalisés par les infirmiers de pratique avancée pour identifier l’aidant principal lors de tout nouveau dossier de patient polypathologique. L’objectif : proposer un accompagnement individualisé autour de ressources d’information, de formation, et de soutien psychologique.
  • La formation à destination des aidants : plusieurs PTA (Plateformes territoriales d’appui) organisent des ateliers, en partenariat avec les associations locales (France Alzheimer, AFM-Téléthon, etc.), pour outiller les aidants aux gestes de premiers secours, à la gestion des urgences du quotidien, ou à la compréhension des traitements.
  • L’expérimentation « Relai Aidants » : dans le Tarn-et-Garonne, une équipe mobile vient ponctuellement à domicile pour permettre à l’aidant principal de souffler, le temps d’une journée. Ce projet, coordonné par une maison de santé, est financé conjointement par l’ARS et le conseil départemental.

Ces expériences, bien que porteuses, peinent parfois à s’inscrire dans une stratégie territoriale globale, du fait de financements ponctuels, du manque de coordination multi-acteurs, et de la faible médiatisation auprès des professionnels de ville.

Mise en lumière des outils opérationnels

  • Les carnets de liaison : mis en place par certaines maisons de santé, ils permettent de consigner dans un même document les informations essentielles sur le patient et son aidant, accessibles par tous les professionnels intervenant au domicile.
  • Le recours à la télésanté : durant la crise Covid-19, des dispositifs expérimentaux de « téléaccompagnement » par des plateformes régionales ont vu le jour (par exemple en Grand Est et Occitanie), offrant aux aidants une ligne de conseils et de médiation accessible 7j/7.
  • Les dispositifs de formation conjointe aidant-aidé : dans les territoires ruraux, la mutualisation des interventions éducatives (diabète, maladies neurodégénératives) facilite la transmission des savoirs de base à la fois aux patients et à leurs proches investis dans le soin.

Freins persistants pour une intégration territoriale des aidants

Plusieurs verrous freinent encore la reconnaissance pleine et entière de l’aidant comme acteur du parcours de soins à l’échelle locale.

  • L’absence de repérage systématique : en dehors des situations les plus critiques, le statut d’aidant n’est pas toujours formalisé dans les dossiers patients, ce qui complique la proposition de solutions adaptées. Le futur Dossier Médical Partagé (DMP) enrichi pourrait néanmoins favoriser ce repérage, sous réserve d’intéresser soignants et patients (source).
  • Le cloisonnement institutionnel : les coordinations CPTS, MAIA, PTA ou SESSAD dans le secteur médicosocial, peinent encore à instaurer de véritables passerelles d’informations entre dispositifs.
  • Le manque de temps professionnel : dans un contexte de tension sur les effectifs en médecine de ville et en soins infirmiers, consacrer du temps à l’aidant semble difficile sans organisation territoriale dédiée.
  • La question du secret professionnel : il demeure un sujet de débat local quant à la juste place accordée à la transmission d’informations relevant du secret médical, même lorsque l’aidant est personne de confiance.

À cela s’ajoutent des enjeux spécifiques : précarité et isolement en milieu rural, moindre recours aux dispositifs de soutien dans les quartiers prioritaires, fracture numérique empêchant le recours à la télésanté, hétérogénéité dans l’accès à l’information.

Des perspectives : vers une coproduction concrète avec les aidants

Plusieurs territoires expérimentent des modèles plus ouverts, impliquant directement les aidants dans la gouvernance locale des soins de premier recours. La CPTS du Nord Basse-Terre (Guadeloupe) a, par exemple, intégré des représentants d’associations d’aidants dans son conseil d’administration, permettant de transformer la réflexion sur les parcours et la priorisation des actions santé.

Du côté des outils, certains territoires pilotes utilisent des plateformes numériques mutualisées (ex. : « Mon espace aidant » en région Auvergne-Rhône-Alpes) pour lister des ressources locales et faciliter la mise en lien entre aidants, professionnels et dispositifs d’appui.

Les principaux leviers qui se dessinent :

  • La création de référents « aidants » dans chaque CPTS et maison de santé, véritables personnes-ressources en capacité de flécher les aidants vers des aides spécifiques, formations, dispositifs de répit, etc.
  • L’inclusion de l’aidant dans la discussion clinique régulière : participation aux staffs pluriprofessionnels, intégration dans l’élaboration du projet de soins au même titre que le patient.
  • Le développement de groupes d’entraide territorialisés, associant acteurs associatifs, professionnels et aidants eux-mêmes, pour faire émerger des pratiques adaptées et améliorer le repérage des situations à risque d’épuisement.
  • L’expérimentation de nouveaux modes de financement pour l’appui aux aidants : la Sécurité sociale expérimente depuis 2022, dans le cadre de l’article 51, la facturation d’actes d’accompagnement à destination des aidants de patients atteints de maladie d’Alzheimer dans certains territoires.

À mesure que les territoires développent leur autonomie organisationnelle, la capacité à intégrer les aidants dans la co-construction des parcours de soin devient un marqueur d’innovation, de justesse et d’équité sociale. D’importantes marges de progrès subsistent, notamment en ce qui concerne la systématisation des pratiques de repérage et d’orientation, mais les initiatives locales qui associent véritablement les aidants dessinent les contours d’un système de santé plus inclusif et ajusté aux besoins des premiers concernés.

Dynamiser la place des aidants : enjeux d’égalité et de solidarité territoriales

Placer les aidants au cœur des parcours de premier recours repose avant tout sur une conviction : la qualité de l’accompagnement local passe par une meilleure reconnaissance, un outillage partagé, et la promotion de solutions construites avec et pour les aidants.

À l’échelle territoriale, ce sont souvent la volonté collective, la mobilisation des ressources locales, et la capacité à associer les différents acteurs qui font la différence dans la réalité quotidienne vécue par les aidants. Renforcer ces dynamiques, c’est offrir une voie vers l’amélioration concrète du système de soins de proximité, mais aussi affirmer une certaine idée de la solidarité à l’échelle des territoires.