Patients acteurs : quelle réalité dans la transformation des soins ?

4 juillet 2025

Du patient soigné au patient partenaire : une transition en marche

Le rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) l’affirme en 2021 : la participation des usagers est un levier décisif pour améliorer qualité, pertinence et sécurité des soins (HCSP, 2021). Cette évolution n’est pas que rhétorique. Plusieurs textes fondateurs ont fait de la place du patient une priorité :

  • La loi du 4 mars 2002 dite “loi Kouchner” pose le droit fondamental des patients à être informés et à participer aux décisions les concernant.
  • La Stratégie nationale de santé (SNS) et la dernière feuille de route “Ma Santé 2022” insistent sur l’empowerment et la démocratie en santé, notamment au sein des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).
  • La création des Conseils territoriaux de santé ou des Conseils de la vie sociale dans les établissements médico-sociaux, qui organisent la représentation et le dialogue avec les usagers.

Cependant, passer d’un modèle participatif de principe à une implication concrète n’est ni immédiat, ni uniforme sur le territoire.

Quels rôles concrets pour les patients ?

Implication à trois niveaux

Les initiatives se structurent en trois axes principaux :

  1. Participation à la gouvernance : présence d’usagers au sein des instances décisionnelles de structures territoriales ou d’établissements. Exemple marquant : dans 85 % des Groupements hospitaliers de territoire (GHT), les représentants des usagers sont associés à la définition des axes stratégiques (CNS, 2020).
  2. Contribution à la conception des dispositifs : co-construction de parcours, de protocoles et d’outils, avec des retours d’expérience structurés (focus groups, ateliers patients, etc.).
  3. Engagement dans le soin et l’accompagnement : pair-aidance, éducation thérapeutique du patient (ETP), et programmes de réhabilitation psychosociale intégrant des pairs professionnels, notamment en santé mentale.

La Conférence nationale de santé notait dès 2019 que “le patient partenaire contribue à l’amélioration de la qualité et la pertinence des soins”, faisant mention de bénéfices tangibles dans la réduction des risques d’erreurs ou d’inadéquations thérapeutiques (CNS).

Quelques chiffres clés

  • En France, moins de 30 % des usagers se disent suffisamment informés sur leurs droits de participation dans le système de santé (France Assos Santé, baromètre 2023).
  • 83 % des managers de CPTS estiment qu’intégrer des patients dans les comités de pilotage a eu un impact positif sur la pertinence des actions territoriales (Observatoire Fédération des CPTS, 2023).
  • Près de 20 % des programmes ETP labellisés depuis 2010 intègrent désormais de façon systématique un patient-expert dans leur animation (Haut Conseil de la santé publique, 2022).

Des exemples locaux d’innovations autour de la place du patient

La pair-aidance en psychiatrie : de l’expérimentation à l’essaimage

Depuis 2017, plusieurs CMP (Centres Médico-Psychologiques) ont développé l’intégration de “pairs-aidants”—expérience pionnière notamment à l’EPSM Lille-Métropole. Résultats mobilisés d’après la FF2P :

  • Diminution du taux de rechute (près de 15 % de moins chez les patients accompagnés par des pairs-aidants).
  • Amélioration de l’autonomie des usagers dans leurs parcours de soins.
  • Effet positif sur la dynamique d’équipe soignante—meilleure acceptation de la diversité des voix à l’hôpital.

L’implication usagère dans les CPTS rurales : exemples du Gers et du Puy-de-Dôme

Plusieurs CPTS rurales (notamment celles de la Lomagne Gersoise et de l’Est du Puy-de-Dôme) ont structuré un “conseil des usagers” consulté lors de la rédaction du projet de santé territorial. Points de vigilance rencontrés :

  • La nécessité d’accompagnement méthodologique (animation, formation des usagers & professionnels).
  • Des attentes parfois divergentes entre représentation associative et retour d’expérience individuel.
  • Mais aussi des effets levier : identification plus fine des besoins non couverts (ex : horaires de permanence, matériel médical de proximité) et amélioration de l’acceptabilité de certaines mesures (téléconsultation en zones blanches).

Co-construction numérique : les plateformes participatives “Ma Santé 2022”

Plusieurs Agences Régionales de Santé (Occitanie, Normandie) ont expérimenté la co-construction de parcours “à distance” via des plateformes numériques où usagers, soignants, élus et institutions formulent, discutent et hiérarchisent les priorités de santé du territoire. Retombées constatées :

  • Implication de profils d’usagers souvent moins présents dans les réunions physiques (aidants, personnes en situation de handicap).
  • Risques de décrochage numérique pour certaines franges de la population, demandant des solutions d’inclusion spécifiques.

Les défis à relever pour donner toute leur place aux patients

Représentativité et diversification des profils usagers impliqués

  • Manque de diversité : Les profils d’usagers sollicités sont souvent issus du secteur associatif ou déjà socialisés aux questions de santé, au détriment de personnes éloignées du système.
  • Risque d’institutionnalisation : Le représentant usager peut parfois être vécu comme une “fonction” plus que comme une voix véritablement indépendante, notamment dans certains conseils ou comités.

Montée en compétence et reconnaissance du savoir expérientiel

  • Le patient partenaire doit être formé et accompagné pour jouer un rôle effectif—ce qui n’est pas généralisé, faute de temps ou de ressources.
  • La reconnaissance du savoir de l’expérience (ex : validation de compétences, prise en compte dans la formation des professionnels) progresse, mais reste inégale selon les territoires et les spécialités (cf. L’Institut du Patient).

Besoins de structuration et de financement

  • Les dispositifs d’accompagnement (médiation, animation, frais de déplacement…) sont encore souvent sous-dotés.
  • La rémunération ou la compensation de l’engagement usager demeure marginale en France, alors qu’elle est bien plus admise au Québec ou en Suisse (Rapport HAS, 2021).

Articulation entre participation individuelle et collective

  • L’équilibre entre participation sur les situations individuelles (ex : projet personnalisé de soins) et rôle collectif (ex : gouvernance d’un CPTS) n’est pas toujours maîtrisé.
  • Il existe un besoin de clarifier les rôles pour éviter une dilution de la voix usagère dans des logiques purement institutionnelles ou symboliques.

Perspectives : les territoires, catalyseurs d’un nouveau “compagnonnage” patient-soignant ?

La dynamique d’implication des patients dans l’organisation des soins s’ancre fortement à l’échelle locale : expérimentations, contraintes et émancipation s’y conjuguent de façon singulière, souvent hors des sentiers balisés. Plusieurs enseignements émergent :

  • Les projets copilotés par des patients, lorsqu’ils bénéficient d’une animation et d’un accompagnement adaptés, sont vecteurs d’innovation et de pertinence, y compris dans des contextes réputés “difficiles” (ruralité, précarité, psychiatrie).
  • La transformation du rôle du patient participe à “désiloter” les soins—l’expérience usagère favorise l’émergence de solutions transversales, particulièrement dans la prévention et l’accompagnement des parcours complexes.
  • À l’inverse, la faible structuration de la participation usagère demeure une limite observée. Le défi futur réside dans l’équilibre à maintenir : créer des espaces d’expression véritablement influents sans alourdir ou ralentir la capacité d’action des organisations locales.

L’engagement patient s’inscrit désormais, au-delà du slogan, dans la réalité quotidienne de nombre de territoires. Il rappelle que la démocratie en santé repose, pour être vivante, non seulement sur des textes et des dispositifs, mais sur la volonté et la créativité de chaque échelle locale. L’évolution du rôle des patients ouvre des voies pour repenser la pertinence et la soutenabilité du système, à condition de lever les freins de représentativité, de formation et de reconnaissance du savoir expérientiel. Un défi de taille, mais aussi une source d’espoir pour l’innovation en santé territoriale.