Protocoles de coopération : moteurs discrets mais puissants de la coordination locale en soins de premier recours

16 septembre 2025

Poser le décor : pourquoi la coopération locale interprofessionnelle s’impose-t-elle aujourd’hui ?

Au fil des années, l’organisation des soins de premier recours en France a connu de profondes mutations, en partie sous l’effet de la désertification médicale, de l’évolution du profil des patients, du vieillissement de la population et de l’émergence de maladies chroniques. Dans ce contexte, renforcer la coordination entre professionnels de santé n’est plus une option mais une nécessité. Les territoires, dotés de leurs spécificités socio-démographiques et sanitaires, deviennent des terrains d’expérimentation pour réinventer un accès de qualité aux soins, en s’appuyant notamment sur la coopération interprofessionnelle.

À l’échelle de la santé publique territoriale, l’urgence est d’autant plus pressante que 6 millions de Français se trouvent en situation de fragilité ou d’accès limité aux soins de premiers recours selon la DREES (2023). Face à ce constat, la coopération, loin d’être une simple injonction institutionnelle, constitue un réel levier de transformation.

Définir et situer les protocoles de coopération

Les protocoles de coopération sont des dispositifs réglementaires permettant à des professionnels de santé d’organiser et de formaliser le partage ou la délégation de certaines activités dans le but d’optimiser le parcours de soins. Initialement instaurés par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) de 2009, ils s’inscrivent dans une dynamique d’adaptation du système de santé aux besoins de la population et aux ressources locales.

  • Champ d’application : Ces protocoles concernent aussi bien la relation médecin-infirmier que la collaboration avec des pharmaciens, orthophonistes, sages-femmes ou kinésithérapeutes, dans une logique d’équipe. Leur validité est encadrée par l’Arrêté du 31 janvier 2022 et des instructions ministérielles successives.
  • Objectif : Dépasser le cloisonnement des métiers et renforcer l’efficience de prise en charge du patient, en particulier sur des territoires où les ressources sont contraintes.
  • Typologies : Il existe deux principaux types de protocoles : les protocoles nationaux publiés par la HAS, et les protocoles locaux, portés par des dynamiques de terrain (ex : CPTS, MSP).

Selon la base de données du Répertoire des Protocoles de coopération (Ministère de la Santé), plus de 150 protocoles sont actuellement autorisés à l’échelle nationale et locale.

L’impact des protocoles de coopération sur la coordination territoriale

Le principal atout des protocoles de coopération, c’est leur capacité à structurer et à valoriser les pratiques collectives, autour d’objectifs partagés : réduction du délai de prise en charge, facilitation de la continuité des soins, dépassement de la logique de silo. Plusieurs coordinations territoriales en témoignent.

Des exemples concrets : modalités et effets réels de la coopération interpro

  • Délégation de tâches ciblées : Dans de nombreux territoires, l’autorisation donnée à des infirmiers d’adapter un traitement en fonction d’un protocole validé libère du temps médical pour les généralistes, accroît l’autonomie des équipes et réduit les délais d’intervention. Un exemple frappant est le protocole « Renouvèlement des prescriptions d’anticoagulants oraux chez des patients stables » où l’infirmier ou le pharmacien peut, dans certains cas, procéder à l’adaptation ou au renouvellement sous conditions strictes.
  • Prise en charge pluridisciplinaire des soins non programmés : Plusieurs CPTS expérimentent une organisation où, grâce à des protocoles opérationnels, les demandes de soins non programmés sont directement orientées selon un tri préalable réalisé par des infirmiers ou des pharmaciens, désengorgeant ainsi les médecins généralistes des actes à faible complexité.
  • Gestion territoriale des pathologies chroniques : Dans le Loir-et-Cher, le déploiement d’un protocole de coopération pour l’éducation thérapeutique des patients diabétiques a permis d’augmenter de 30% le nombre de patients éligibles suivis, tout en améliorant la qualité de leur accompagnement, selon la Maison de Santé Pluriprofessionnelle de Vendôme.

Les conditions clés d’une coopération efficace

Les enseignements tirés des expérimentations font ressortir plusieurs conditions déterminantes pour la réussite d’un protocole de coopération à l’échelle locale :

  1. Implication des équipes : La mobilisation effective de tous les acteurs concernés (professionnels médicaux et paramédicaux, mais aussi secrétariats, coordinateurs, voire patients) dans la co-construction du protocole reste un gage d’adhésion et de succès. Selon une enquête menée par la Fédération des Maisons de Santé (2022), 83% des professionnels impliqués dans la rédaction d’un protocole estiment que leur engagement facilite la coordination quotidienne.
  2. Formation : La sécurisation des parcours repose sur l’acquisition ou le renforcement de compétences spécifiques par les professionnels délégataires. L’Agence nationale du DPC répertorie aujourd’hui plus de 50 actions de formation dédiées à la mise en œuvre de protocoles de coopération.
  3. Outils collectifs adaptés : Qu’il s’agisse d’un dossier patient partagé, d’outils de messagerie sécurisée, ou d’arbres décisionnels formalisés, le support technologique est un pilier pour assurer la coopération et la traçabilité des actes.
  4. Engagement institutionnel : La reconnaissance officielle, tant du point de vue réglementaire que dans la structuration des financements (ex : valorisation par des forfaits) est souvent une condition d’essaimage des pratiques innovantes.

Un point de vigilance toutefois : la mise en place d’un protocole ne doit pas tomber dans l’excès de bureaucratie, au risque de décourager les équipes. La plus-value réside dans sa simplicité et son adaptation à la réalité du territoire.

Protocoles de coopération et délégation de tâches : des résultats documentés

Les études d’impact menées notamment par la HAS et l’Université de Bordeaux (Baromètre des protocoles de coopération, 2023) mettent en évidence plusieurs bénéfices :

  • Réduction des délais de prise en charge : Jusqu’à 20% dans certains secteurs ruraux pour la dermatologie ou la prise en charge de plaies chroniques.
  • Amélioration de la satisfaction des professionnels : 78% des médecins généralistes impliqués dans un protocole déclarent une meilleure perception de la qualité de la coordination interprofessionnelle (source : Santé Publique France, novembre 2023).
  • Valorisation des compétences paramédicales : Les professionnels concernés apprécient une montée en compétence réelle et une reconnaissance accrue de leur rôle dans le parcours.
  • Réduction du recours inapproprié à d’autres niveaux de soins : Diminution du nombre de passages non justifiés aux urgences pour des motifs pouvant être traités localement selon les protocoles.

Une illustration locale : dans le Tarn, la CPTS du Gaillacois a mis en place en 2022 un protocole de coopération autour du suivi des patients hypertendus. Le taux de suivi conforme aux recommandations de la HAS est passé de 57% à 76% après 18 mois, selon un audit interne mené par la coordination. (Source : CPTS Gaillacois, rapport interne, 2023)

Ce que révèlent les dynamiques territoriales autour des protocoles

Les protocoles ne constituent pas une fin en soi mais le point de départ d’une dynamique de coopération qui va souvent bien au-delà de la simple délégation d’actes. Ils engendrent une réflexion partagée sur l’organisation des soins de proximité, invitent à faire évoluer les relations entre soignants et patients, à renforcer la culture du dialogue dans les territoires.

Dans la réalité, l’élaboration d’un protocole local s’inscrit dans une démarche plus large de gouvernance : elle fédère, elle questionne les pratiques, elle installe durablement la concertation. L’impact, au-delà de l’amélioration des indicateurs techniques, se mesure aussi à la maturité des relations interprofessionnelles et à la capacité à absorber collectivement les variations de ressources (pénurie médicale, congés, gestion de crise).

Face aux attentes croissantes des usagers, la coopération territoriale outillée par des protocoles formalisés s’affirme comme un allié essentiel de la résilience locale du système de santé. Les acteurs qui s’emparent de ces dispositifs montrent que la coordination n’est pas une contrainte mais un accélérateur d’intelligence collective et de qualité des soins.

Pour poursuivre : ressources, actualités et perspectives

Alors que les besoins d’articulation locale vont continuer à croître, la question n’est plus de savoir si les protocoles de coopération sont utiles, mais comment les faire vivre sur chaque territoire pour qu’ils renforcent l’accès, la qualité et la pertinence des soins pour tous.