Transformations silencieuses : comment la coopération structure les pratiques avancées en soins de proximité

27 octobre 2025

Définir les protocoles de coopération : un outil d’accélération de l’évolution professionnelle

Un protocole de coopération permet à un professionnel de santé d’exercer certaines activités habituellement réservées à une autre profession, dans un cadre règlementaire défini. Par exemple : un infirmier peut réaliser des actes diagnostiques ou thérapeutiques médicaux dans certaines situations, sous réserve d’un protocole validé. Instaurés par la loi HPST en 2009, ces protocoles visent à fluidifier le parcours patient, renforcer l'accès aux soins et valoriser l'expertise des soignants.

Selon l’Observatoire national des professions de santé, on comptait en 2023 plus de 160 protocoles nationaux ou locaux autorisés depuis la publication du décret du 31 décembre 2009[1]. L’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) indique qu’entre 2019 et 2023, plus de 4300 professionnels ont participé à des protocoles de coopération en soins primaires.

  • Décloisonner les métiers : ces protocoles offrent un cadre pour « interchanger » certaines compétences entre soins infirmiers, médicaux ou pharmaceutiques.
  • Répondre à des besoins locaux : chaque territoire peut proposer un protocole en fonction de ses réalités démographiques, de l’accès aux soins ou de l’organisation professionnelle locale.
  • Valoriser les compétences : ils participent à la reconnaissance des expertises, stimulant la montée en autonomie clinique des professionnels concernés.

Les protocoles de coopération s’appliquent majoritairement dans les soins de premier recours : diabétologie, dépistage, prise en charge des plaies, suivi en santé mentale, renouvellement de traitements, etc.

Des pratiques avancées au service du patient : bénéfices observés

Au-delà du cadre réglementaire, la coopération s’ancre comme un véritable levier au service du patient et de la communauté locale. Des études viennent objectiver les bénéfices associés.

  • Entre 2018 et 2022, le protocole « Renaloo », associant infirmiers de pratique avancée et néphrologues en Bourgogne-Franche-Comté, a permis de réduire en moyenne de 6 semaines le délai d’accès au premier rendez-vous pour une suspicion d’insuffisance rénale (Source : ARS BFC, 2022).
  • En PACA, un protocole sur la réévaluation annuelle des traitements antihypertenseurs en pharmacie a augmenté de 35 % le taux de suivi effectif des patients âgés de plus de 65 ans, selon la Caisse nationale d’Assurance Maladie (2021).
  • Plus globalement, une étude de la Drees rappelle que les protocoles de coopération ont permis de réduire la charge médicale moyenne de certaines filières de soins (jusqu’à 18 % pour les renouvellements d’ordonnance en médecine générale) tout en maintenant la satisfaction des patients[2].

Les retours qualitatifs font également état d’une amélioration de la coordination interprofessionnelle, d’une reconnaissance accrue du rôle des acteurs paramédicaux et, dans plusieurs cas, d’un regain d’attractivité pour certains territoires sous-dotés en soignants.

Des dynamiques territoriales propres : inégalités et accélérateurs

La France ne présente pas une carte homogène quant à l’implantation de ces protocoles. On observe des logiques différenciées, qui témoignent de la capacité des territoires à mutualiser ou non leurs forces.

  • Les territoires pilotes : Bretagne, Nouvelle-Aquitaine ou Auvergne-Rhône-Alpes présentent un nombre plus élevé de protocoles par habitant, du fait de coopérations historiques entre professionnels de santé et forte mobilisation des agences régionales de santé.
  • L’influence des CPTS et MSP : Les communautés professionnelles territoriales de santé et les maisons de santé pluridisciplinaires servent souvent d’incubateurs à ces démarches. Selon la Fédération française des maisons et pôles de santé, plus de 70 % des protocoles actifs le sont aujourd’hui dans des MSP.
  • L’effet « chasse d’eau » COVID : La crise sanitaire a mis en lumière l’efficacité des parcours fluidifiés : renouvellements de traitements par les infirmiers, délivrance directe en pharmacie, prévention collaborative… Plus de la moitié des protocoles locaux en 2020-2022 étaient dédiés au dépistage ou à la vaccination (Santé Publique France).

Cependant, des disparités persistent. Les départements sous-dotés en professionnels de santé (Creuse, Lozère, Ardennes…) peinent à mettre en place des protocoles actifs, faute de ressources disponibles pour l’animation, la formation et le suivi. Un enjeu reconnu par la mission « Attractivité des métiers de la santé » du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie début 2024.

Pratiques avancées et nouvelles frontières des métiers : apports, limites et résistances

Les protocoles de coopération participent à l’émergence, plus globale, d'un mouvement de « pratiques avancées ». Ce terme, récemment consacré pour les infirmiers (décret du 18 juillet 2018), se diffuse à d'autres professions (kinésithérapeutes, pharmaciens, manipulateurs radio).

Les principaux apports sont :

  • Optimisation des compétences : l’organisation s'adapte à la réalité des besoins plutôt qu’aux frontières des métiers.
  • Autonomie renforcée : la démarche permet une réponse directe, rapide et coordonnée aux problématiques de santé publique, comme le suivi du diabète gestationnel, la prise en charge des plaies chroniques ou les soins palliatifs à domicile.
  • Dynamique de formation continue : la validation de compétences nécessaires aux protocoles renforce une culture du développement professionnel partagé.

Pour autant, des limites existent :

  • Réticences professionnelles : certains médecins s’inquiètent d’une dilution de leurs responsabilités ou d'une rigidité croissante dans l’exercice.
  • Complexité administrative : la procédure de dépôt, d’instruction, puis de validation des protocoles prend en moyenne entre 8 et 18 mois selon la source HAS (rapport 2022). Les protocoles locaux restent majoritaires faute de généralisation ou d’harmonisation nationale.
  • Accompagnement financier : seule une minorité de protocoles bénéficie de financement dédié (en moyenne 1 sur 4 en 2023, selon la CNAM), ce qui limite leur portée et leur pérennisation.

L’enjeu de la multi-professionnalité ne relève donc pas seulement de la volonté, mais requiert un accompagnement réglementaire, institutionnel et financier conséquent.

Trois exemples concrets de collaborations réussies

  • Charente-Maritime : gestion partagée des plaies chroniques Un protocole initié dès 2016 associe infirmiers, médecins généralistes et pharmaciens pour le diagnostic, la prescription et l’évaluation régulière des traitements. La durée moyenne de cicatrisation a chuté de 17 à 12 semaines (ARS Nouvelle-Aquitaine, 2021).
  • Grand Est : renouvellement des équipements d’orthèse par les kinésithérapeutes Ce protocole, validé en 2019, permet aux kinés de renouveler directement attelles ou orthèses pour certains troubles neurologiques, en limitant le délai de prise en charge de 4 à 1,5 mois pour les patients concernés (Conseil régional de l’Ordre, 2022).
  • Occitanie : suivi partagé des patients souffrant de troubles anxiodépressifs Une équipe pluridisciplinaire, au sein d’une maison de santé, assure le suivi psychothérapeutique, la prescription de certains traitements et l’orientation vers des structures d’appui. 82 % des patients traités sans hospitalisation à un an (CHU Toulouse, 2022).

Perspectives : généralisation et défis pour l’avenir

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS, octobre 2023) souligne que la France « dispose aujourd’hui d’une base solide pour étendre les protocoles de coopération, mais la généralisation nécessite d’alléger le processus d’autorisation et de développer des outils d’évaluation d’impact ». La HAS a d’ailleurs recommandé l’intégration d’indicateurs populationnels et de retours d’expérience des usagers dès l’instruction des futurs protocoles.

D’un point de vue territorial, la dynamique est désormais soutenue par les CPTS, dont le nombre a dépassé 650 en 2023 (source : Ministère de la Santé), couvrant plus de la moitié de la population française et constituant des plateformes de dialogue et d’expérimentation pour de nouvelles organisations.

Si l’on retient une certitude, c’est que la consolidation des pratiques avancées et des protocoles de coopération fait écho aux besoins croissants d’accès, de qualité et d’agilité dans la réponse aux enjeux sanitaires, particulièrement dans les zones à démographie médicale atypique ou fragile. Leur diffusion plus large, leur déploiement facilité et leur reconnaissance institutionnelle contribueront sans aucun doute à ancrer durablement l’innovation au cœur des territoires.

Sources principales : Haute Autorité de santé ; ARS Nouvelle-Aquitaine, ARS BFC ; Santé Publique France ; Fédération française des maisons et pôles de santé ; IGAS (2023) ; Caisse nationale d’Assurance Maladie; Drees.