Réunions de concertation pluridisciplinaire : catalyseurs de la coordination en soins primaires

8 septembre 2025

Des besoins de coordination accrus en soins de premier recours

La multiplication des parcours de soins complexes, le vieillissement de la population et la prévalence des maladies chroniques imposent une coordination resserrée entre acteurs de proximité (HAS, 2021). En ville comme en zone rurale, médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens et autres praticiens sont régulièrement confrontés à des enjeux qui dépassent leur champ d’intervention. Les parcours fragmentés augmentent le risque d’erreurs, de ruptures de prise en charge, et de difficultés pour les patients à naviguer dans le système.

Selon le rapport sur l’état de santé de la population 2023 (DREES), 36 % des patients identifient la coordination entre professionnels comme un facteur clé de satisfaction. Pour les équipes, le repérage des situations à risque et le partage de l’information deviennent déterminants.

Les réunions pluriprofessionnelles : quels principes et cadres en France ?

Les RCP trouvent leur origine dans l’oncologie, mais elles se démocratisent depuis la fin des années 2000 dans le champ des soins de premier recours, notamment à travers les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et certains dispositifs comme les équipes de soins primaires (ESP) (Assurance Maladie).

  • Objectifs : partage d’informations cliniques et sociales, élaboration collective du projet de soin, meilleure articulation des interventions, prévention des ruptures de parcours.
  • Participants types : médecins, infirmiers, pharmaciens, assistants sociaux, kinésithérapeutes, psychologues, coordinateurs, et parfois médecins spécialistes hospitaliers.
  • Fréquence et formats : variable, souvent mensuelle ou bimensuelle. Réunions en présentiel ou en visioconférence, parfois appuyées par des outils numériques sécurisés de partage.

Un avis récent de la Cour des comptes (Cour des comptes, 2022) souligne l’importance de ces formats pour « rompre l’isolement professionnel et améliorer la continuité des soins ».

Les principales contributions des réunions de concertation à la coordination

Un espace de dialogue favorisant la compréhension mutuelle

Les RCP créent des occasions formelles de partage d’informations médicales, sociales et contextuelles sur les patients suivis en commun. Ce dialogue lève des incompréhensions, harmonise les regards sur les situations et renforce la confiance interprofessionnelle (IRDES, 2015).

  • Les échanges permettent d’ajuster les prises en charge en temps réel (par exemple : modification des traitements, relais entre le domicile et l’hôpital, anticipation des situations à risque).
  • Elles favorisent la reconnaissance des compétences de chaque métier, ce qui valorise le rôle de chacun dans le parcours.

À titre d’exemple, dans la MSP du quartier Prioritaire de Saint-Denis (93), la mise en place d’une réunion mensuelle a montré une réduction de 23 % des hospitalisations non programmées de patients polypathologiques sur deux ans (Santé & Société, 2022).

Optimisation du suivi des patients vulnérables

Les patients en situation de précarité, d’isolement ou souffrant de pathologies complexes bénéficient directement de ces synergies. D’après le Réseau français des CPTS (FranceInfo, 2024), plus de 68 % des CPTS organisent désormais des RCP pour optimiser le suivi des situations complexes, limiter les ruptures de prise en charge et construire des plans d’action mutualisés (ex : maintien à domicile, organisation de relais infirmiers, mobilisation d’un soutien psychologique).

Décloisonnement et innovation organisationnelle

Les RCP jouent aussi un rôle clé dans le décloisonnement ville-hôpital et la co-construction de solutions organisationnelles adaptées aux spécificités locales. À l’échelle territoriale, elles peuvent servir à l’émergence de protocoles de coopération, au partage d’outils numériques (ex : messageries sécurisées, dossiers communs), et à la formation croisée entre professionnels.

  • Le programme Paerpa (Personnes âgées en risque de perte d’autonomie) a ainsi démontré que les RCP contribuaient à une baisse de 15 % des recours aux urgences chez les personnes de plus de 75 ans en 2019 (HAS, évaluation Paerpa).

Enjeux et freins persistants identifiés sur le terrain

Temps, rémunération, reconnaissance : des freins concrets

Malgré ses bénéfices, la tenue régulière de RCP est freinée par le manque de temps des professionnels, la difficulté à rémunérer l’investissement dans la coordination (hors structures financées à cet effet), et parfois le défaut de structuration logistique. Un rapport de la Drees en 2021 indique que seuls 31 % des professionnels impliqués dans une maison de santé participent aux réunions plus d’une fois par mois ; ce taux descend à moins de 15 % en exercice isolé (DREES, 2021).

  • Le financement par l’Assurance Maladie (notamment via les ACI des MSP) reste jugé insuffisant pour couvrir l’ensemble de l’effort.
  • Le manque de temps médical disponible est cité dans 78 % des retours de terrain comme principal frein.

Des inégalités territoriales dans le développement

Les dynamiques locales modulent fortement l’appropriation des réunions de concertation. Certaines régions et bassins de vie, portés par un leadership affirmé et une coordination structurée, organisent régulièrement ce type de rencontres, tandis que d’autres peinent à embrayer.

  • Les territoires ruraux ou sous-dotés rencontrent davantage de difficultés pour réunir les acteurs autour de la table, du fait de la dispersion géographique, du manque d’effectifs et d’infrastructures.

Cependant, des expérimentations numériques, comme les dispositifs de réunion à distance testés pendant la crise Covid-19, ont ouvert de nouvelles perspectives, facilitant la participation en zone excentrée (Agence du Numérique en Santé).

Des perspectives : soutien institutionnel, structuration, et retombées pour les patients

Vers une reconnaissance accrue et un ancrage dans les pratiques

La Stratégie nationale de santé 2023-2027 accorde une place centrale à la “coordination renforcée des soins de premier recours” (Ministère de la Santé). Le soutien aux initiatives de concertation (via les CPTS, MSP, dispositifs Article 51, etc.) devrait se renforcer, avec davantage de financement, d’appui au pilotage et d’incitations à la formalisation des temps de coordination.

  • L’usage d’outils numériques sécurisés, la diffusion des guides méthodologiques et le portage institutionnel contribuent à pérenniser la dynamique.
  • De plus en plus, les patients (ou leurs aidants) sont associés directement à certains temps de concertation, marquant une avancée vers la co-construction des parcours.

Impact sur la qualité, les délais et la sécurité des soins

La littérature internationale confirme l’impact significatif des RCP sur :

  • La qualité et la pertinence des décisions : décisions plus concertées, réduction des interventions redondantes, prise en compte globale.
  • Le délai de prise en charge : accélération du relais vers les professionnels ad hoc en cas de difficulté.
  • La sécurité des parcours via la limitation des ruptures ; dans les évaluations nordiques, la tenue régulière de RCP a réduit de 13 à 20 % les ré-hospitalisations évitables chez les patients fragiles (Cochrane, 2020).

Un levier structurant pour une santé de proximité renouvelée

Les réunions de concertation pluridisciplinaire s’imposent aujourd’hui comme des leviers structurants d’une organisation plus fluide et humaine des soins de premier recours. Elles favorisent l’articulation, encouragent l’innovation, et renforcent finalement la capacité des territoires à répondre collectivement à des besoins croissants et diversifiés, dans un contexte démographique et social exigeant.

Demain, le défi sera d’amplifier le mouvement : outiller mieux les professionnels, lever les freins structurels, et renforcer la participation des patients. La multiplication de retours d’expériences, leur analyse et la diffusion de repères partagés contribueront à ancrer durablement ces dynamiques au service d’une santé de proximité accessible et de qualité.