Comprendre la place des CPTS dans une organisation renouvelée des soins de proximité

13 juin 2025

Les CPTS : d'où viennent-elles et que regroupent-elles ?

L’émergence des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) s’est produite dans un contexte de transformation du système de santé français, sous l’impulsion des différentes lois sur l’organisation territoriale des soins. Elles répondent à la nécessité de créer des espaces de coordination à une échelle intermédiaire, entre les établissements hospitaliers et la médecine de ville. Concrètement, une CPTS regroupe, sur un territoire défini, des professionnels de santé libéraux, hospitaliers, médico-sociaux, sociaux, et parfois des représentants des usagers. L’objectif : mieux organiser les soins de proximité en favorisant la coopération interprofessionnelle, à l’échelle du bassin de vie des habitants.

Les premières CPTS expérimentales apparaissent dès 2015, mais leur reconnaissance officielle survient vraiment avec la loi de modernisation de notre système de santé (2016) et le plan Ma Santé 2022. En 2018, la Stratégie de transformation du système de santé fixe comme objectif la couverture intégrale du territoire par les CPTS à moyen terme. D’après les chiffres de l’Assurance Maladie, on comptait début 2024 plus de 700 CPTS actives, couvrant plus de 80 % de la population française (Assurance Maladie).

Quel socle de missions pour les CPTS ?

Les missions des CPTS sont définies nationalement mais déclinées de manière territoriale afin de répondre aux réalités locales. Le référentiel conventionnel signé en 2019 (avenant 1 de l’ACIP) identifie trois missions socles, auxquelles s’ajoutent deux missions complémentaires :

  • Améliorer l’accès aux soins : apporter des réponses coordonnées à la demande de soins non programmés, fluidifier l’accès au médecin traitant pour les nouveaux habitants, organiser l’offre de soins sur les soins non programmés.
  • Organiser les parcours de soins : faciliter la coordination pour les pathologies chroniques, la prévention, la prise en charge des situations complexes, y compris le lien ville-hôpital et médico-social.
  • Développer des actions de prévention : organiser des campagnes de dépistage localisées, intervenir dans les écoles, promouvoir la vaccination et l’éducation à la santé.
  • Gestion de crise : implication dans la réponse territoriale lors d’épisodes sanitaires exceptionnels, comme l’a démontré la crise Covid-19.
  • Qualité et pertinence des soins : promotion du bon usage des examens et médicaments, réflexion sur les parcours diagnostics et thérapeutiques.

Une CPTS n’est ni une structure juridique unique ni un outil normatif descendant, mais un cadre pour catalyser des coopérations à l’échelle locale.

Quel rôle concret dans l’organisation des soins : cartographie des dynamiques

Le rôle des CPTS se distingue sur plusieurs axes :

1. Faciliter l’accès à un médecin traitant et aux soins de premier recours

Face à la pénurie médicale et à la progression du nombre de personnes sans médecin traitant (près de 6 millions au total, selon la Drees en 2022), les CPTS expérimentent différentes modalités :

  • Actions proactives pour réaffecter des patients à des médecins suite à des cessations d’activité, comme en Sarthe où la CPTS de la Couronne Mancelle a organisé une cellule de recensement et d’orientation (source : Sarthe.fr).
  • Création de guichets uniques d’accès aux soins non programmés, permettant aux pharmaciens et infirmiers d’orienter les patients au bon endroit, y compris vers la téléconsultation.
  • Veille sur les situations d’isolement médical, avec l’usage de systèmes d’information partagés pour éviter les ruptures de suivi.

2. Organiser la réponse aux soins non programmés et désengorger les urgences

Une mission centrale des CPTS est la gestion des soins non programmés (SNP) pour réduire la tension sur les services d’urgences. Par exemple, la CPTS Rhône Centre, à Lyon, a mis en place une plateforme regroupant volontaires médecins généralistes, spécialistes et paramédicaux pour des créneaux de consultations sans rendez-vous, notamment les week-ends. Entre 2021 et 2023, cette CPTS estimait avoir réorienté plusieurs milliers de passages des urgences vers la médecine de ville (CPTS Rhône Centre).

  • Recensement numérique des plages de consultation disponibles
  • Organisation de parcours rapides avec transport coordonné pour éviter l’hospitalisation inutile
  • Mise en réseau avec les services de régulation médicale (Samu, SAS - Service d’Accès aux Soins)

3. Développer la prévention et les démarches populationnelles

Les CPTS incarnent une nouvelle approche territoriale de la prévention, souvent en partenariat avec les collectivités et les associations locales :

  • Actions de dépistages articulées sur un secteur donné (par exemple journées du diabète ou du cancer colorectal, mobilisation des pharmacies et des infirmières libérales)
  • Initiatives de sensibilisation sur la santé mentale et sur la vaccination antihivernale
  • Co-construction d’ateliers d’éducation thérapeutique, s’appuyant sur des structures d’appui (Maison de santé, centres sociaux)

Certaines CPTS vont jusqu’à cartographier les fragilités de leur territoire (précarité, isolement) à travers des enquêtes, ce qui permet d’adapter les actions en fonction des besoins précisément identifiés (INSEE, Drees).

4. Coordination des parcours complexes et lien ville-hôpital

Les CPTS assurent un rôle d’« architecte » des parcours, notamment pour les personnes âgées, handicapées, ou présentant des maladies chroniques. Plusieurs dispositifs innovants émergent :

  • Équipes de coordination pluridisciplinaires intervenant pour des retours à domicile post-hospitalisation
  • Mise en place de projets de soins partagés pour éviter les ruptures dans la prise en charge
  • Outils numériques mutualisés pour transmettre informations et alertes entre professionnels

Ce travail se réalise en lien étroit avec les dispositifs d’appui à la coordination (DAC), les services hospitaliers et le médico-social, pour créer de nouvelles synergies.

Quels leviers d’innovation organisationnelle apportent les CPTS ?

  • Co-construction territoriale : L’un des apports majeurs des CPTS est de rendre possible l’élaboration collective de réponses adaptées aux besoins locaux, là où auparavant chaque structure agissait de façon isolée.
  • Gouvernance inclusive : Les équipes de gouvernance sont généralement composées de praticiens, pharmaciens, coordinateurs, acteurs sociaux. Certaines intègrent désormais les usagers, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé.
  • Expérimentation de nouveaux métiers : Appui d’assistants de parcours, infirmiers coordinateurs, médiateurs en santé… Ces profils sont financés en partie sur les dotations ARS ou Assurance Maladie.
  • Soutien à la e-santé : Adoption d’outils numériques interopérables, carnet de coordination numérique, télé-expertise, etc.

Les CPTS touchent ainsi à la culture partagée du travail en équipe, à la capacité d’innovation locale, et à la mutualisation des moyens, ce qui constitue une rupture notable par rapport à la fragmentation traditionnelle des soins de ville.

Quels freins subsistent : réalités de terrain et enjeux d’avenir

Le développement rapide des CPTS n’empêche pas des difficultés persistantes, issues de la diversité des territoires et des attentes parfois hétérogènes :

  • Adhésion variable : Si certaines régions s’appuient sur une culture préexistante des réseaux, ailleurs, l’adhésion des professionnels peut être difficile en l’absence de leviers incitatifs clairs ou face à la surcharge administrative.
  • Hétérogénéité des moyens : Les dotations annuelles dépendent du nombre d’habitants couverts, mais les ressources humaines mobilisables (coordinateurs, personnel administratif) restent inégalement réparties.
  • Complexité des outils numériques : L’absence d’interopérabilité demeure, malgré les avancées du Ségur du numérique en santé, un frein dans le partage d’information.
  • Risque de confusion des missions : Articulation encore inégale avec les dispositifs d’appui (DAC, MAIA, PTA), générant par endroits des doublons ou des incompréhensions.
  • Mesure de l’impact : Les outils d’évaluation quantitative et qualitative sont encore jeunes ; on manque de recul pour mesurer l’effet réel sur les indicateurs populationnels (réduction des passages aux urgences, amélioration du recours au médecin traitant, etc.).

À moyen terme, certains observateurs (Rapport IGAS 2022, Drees 2023) pointent la nécessité d’un accompagnement renforcé à la structuration des CPTS et d’une reconnaissance accrue du temps professionnel dédié à la coordination.

Perspectives : la CPTS comme laboratoire de transformation des soins primaires

Si les CPTS ne représentent ni une panacée, ni une réforme silencieuse, elles posent les bases d’une organisation horizontale des soins, capable d’ajuster rapidement ses méthodes aux besoins identifiés des habitants. Leur capacité à faire dialoguer acteurs isolés, à rendre visibles les vulnérabilités du territoire, à soutenir la gestion de crises sanitaires (comme la campagne vaccinale anti-Covid ou la gestion des canicules), en font un maillon incontournable des politiques de santé publique actuelles.

À horizon 2030, leur impact reposera sur le développement de l’intelligence collective locale, sur l’intégration réelle de l’usager dans la gouvernance, et sur la création d’indicateurs de résultats pertinents. Mais, dès à présent, de nombreuses expériences montrent que les CPTS rendent tangibles des dynamiques qui jusqu’ici restaient à l’état d’incantation : travail en équipe, décloisonnement, ancrage dans le réel.

Référence principale : Assurance Maladie; Drees, Données statistiques 2023 ; IGAS, Rapport sur le pilotage territorial des soins primaires, décembre 2022.